CHAPITRE III
LE PROBLEME DES ENFANTS DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI
Ce problème est certainement le plus important de tous ceux qui se posent aujourd'hui à l'humanité. L'avenir de la race repose entre les mains de la jeunesse. Sans elle, un nouvel ordre mondial, si vivement désiré et auquel référence est si constamment faite, n'aurait absolument aucun sens. A elle incombe l'éducation de la génération future et la mise en œuvre de la civilisation nouvelle. Ce que nous ferons de la jeunesse et pour elle aura des conséquences de la dernière importance. Notre responsabilité est grande et l'occasion est unique. Je voudrais m'occuper ici des enfants et des adolescents de moins de seize ans, sans essayer de parler du groupe plus âgé. Les deux groupes plus jeunes constituent l'élément dont on peut le plus attendre dans le monde qui s'est écroulé sous nos yeux. Ils représentent la garantie que notre monde peut et doit se reconstruire, et, si les terribles répercussions de l'histoire ont pu nous enseigner la moindre chose, il s'agit de reconstruire sur un plan différent, avec des objectifs et des motifs autres, des buts bien définis et des idéaux sûrement étudiés.
Souvenons-nous pourtant que les espoirs et les rêves visionnaires et mystiques, les projets nés de désirs et les épures méticuleuses, ne sont utiles que dans la mesure ou ils dénotent de l'intérêt, le sens des responsabilités et visent des objectifs qu'il est possible d'atteindre. Leur importance demeure pourtant minime dans les mesures effectives de transition à prendre, s'ils n'envisagent pas le problème immédiat et les possibilités immédiates, avec la volonté d'accepter des compromis pour préparer le terrain à une action ultérieure réussie. Cette action concerne principalement l'éducation dans l'après-guerre. Jusqu'à présent, peu d'efforts ont été réalisés soit dans cette direction, soit pour établir des ponts entre les formes actuelles de l'éducation. Ces formes ont apparemment failli à préparer l'humanité à vivre en bonne intelligence et selon les récents aspects de la discipline mentale ; aucune coordination scientifique n'a été tentée et les efforts sont demeurés faibles pour relier les meilleures des méthodes actuelles (qui ne sont pas toutes mauvaises) avec les futurs systèmes pour développer la jeunesse mondiale et lui permettre d'être à la hauteur de la nouvelle civilisation qui monte inévitablement. Les idéalistes visionnaires ont jusqu'ici mené la lutte contre les modes d'enseignement classiques, mais leur manque de sens pratique et leur refus des compromis ont ralenti le processus et l'humanité en a fait les frais. Le moment est maintenant venu où le mystique pratique, d'une intelligence supérieure, doué aussi de vision spirituelle, doit le remplacer et donner ainsi, à la jeunesse de toute nation, une formation propre à l'intégrer avec succès dans le monde actuel.
Je commencerai par ce lieu commun que nos systèmes d'éducation n'ont pas été adéquats. Ils n'ont pas réussi à préparer les enfants à bien vivre ; ils ne leur ont point inculqué les méthodes de penser et d'agir qui conduisent aux justes relations humaines, relations tellement essentielles au bonheur, au succès et à la plénitude de l'expérience dans toute sphère de l'activité humaine.
Les meilleurs esprits et les penseurs aux idées les plus claires dans le domaine pédagogique ne cessent de souscrire à ces principes. Les mouvements des éducateurs progressistes ont contribué à supprimer les anciens abus et à inaugurer de nouvelles techniques, mais ils constituent une si petite minorité qu'ils demeurent pratiquement sans effet. Les horreurs de la guerre s'abattirent sur nous et, dans de nombreux pays, toutes les possibilités de s'instruire furent balayées. Peut-être était-ce une bénédiction cachée offrant l'occasion d'instituer des méthodes nouvelles, basées sur un idéalisme supérieur. Les pays soustraits à l'ouragan du désastre et au renversement de leur ancien système éducatif le regretteront peut-être un jour et devront apprendre plus tard auprès de ceux que les circonstances ont forcés à reconstruire et à assimiler les leçons du désastre.
Il ne faut pas oublier qu'un enseignement différent, reçu par la jeunesse au cours des derniers siècles, aurait pu prévenir la dernière guerre.
La guerre totale, où nous avons sombré, a été expliquée par des motifs nombreux et variés. Cela soulève la question de savoir si la faillite de nos systèmes d'éducation ou l'inertie des églises n'en constituent pas les causes fondamentales. Quoi qu'il en soit, la guerre est venue, emportant notre ancienne civilisation. Certains souhaitent le retour de cette dernière et le redressement des vieilles structures. Ils languissent après un paisible retour à la situation d'avant-guerre. Même si nous sommes bien obligés de reconstruire sur les vieilles assises, il ne faut pas leur permettre de rebâtir selon les anciens plans, ni d'utiliser les épures périmées. C'est la tâche des éducateurs d'empêcher cela.
Je diviserai ce que j'ai à dire en trois parties ; ce chapitre sera donc plus volumineux que ceux qui traitent d'autres problèmes. Celui-ci les surpasse de beaucoup en importance et ne peut se résoudre en quelques paragraphes.
Etudions d'abord le problème actuel des enfants dans le monde, pour nous efforcer de comprendre les circonstances existantes. Ne reculons pas devant les faits et ne détournons pas notre regard des détails affreux. Tâchons de comprendre un peu ce qu'ont dû endurer les enfants en Europe, en Asie et en Grande-Bretagne. Consentons aussi à admettre que les pays où se pratique encore paisiblement aujourd'hui l'enseignement à la vieille mode se mettent par là même en danger, car ils perpétuent les mauvaises méthodes. Ils constituent aussi une menace pour les pays qui, devant les ruines de leurs anciennes institutions, se sont heureusement vus en mesure de changer leur système d'éducation et d'inaugurer par là une meilleure méthode de préparer leur jeunesse à une vie complète.
Nous étudierons ensuite les mesures à prendre dans un avenir immédiat pour réhabiliter les enfants dans le monde et aussi les adolescents, qui pendant des années n'ont reçu aucun enseignement systématique, sinon clandestin, ou celui que leurs parents pouvaient leur donner. Ne passons pas sous silence la vile éducation donnée à la jeunesse dans les nations fascistes, vile parce qu'elle nie les droits de l'individu et exalte l'Etat au lieu de la liberté de l'esprit humain.
L'éducation est une entreprise profondément spirituelle. Elle affecte, nous le verrons plus loin, l'homme tout entier, y compris son étincelle divine.
Disons tout de suite que je suis opposé à remettre l'instruction aux mains d'une Eglise quelle qu'elle soit. Ce serait préparer le désastre. Cela encouragerait l'esprit sectaire, engendrerait les attitudes conservatrices et réactionnaires si puissamment encouragées dans l'Eglise catholique, par exemple, ou dans la secte protestante des fondamentalistes (Les fondamentalistes imposent une croyance littérale à la Bible.). Cela formerait des bigots (en cas de réussite), élèverait des barrières entre individus et causerait enfin une réaction violente et inévitable contre toute religion chez ceux qui apprendraient finalement à penser, en atteignant à la maturité. Qu'on ne voie là aucune condamnation de la religion ! C'est une condamnation des méthodes anciennes des Eglises et des vieilles théologies, qui ont échoué à présenter le Christ tel qu'Il est réellement, qui ont voulu acquérir richesses, prestige et pouvoir politique. Elles se sont efforcées par tous les moyens d'accroître le nombre de leurs fidèles et d'emprisonner l'esprit libre de l'homme.
Il existe aujourd'hui de bons et sages ecclésiastiques qui le comprennent et qui œuvrent avec patience en faveur de la nouvelle attitude envers Dieu dans l'ère nouvelle, mais ils sont relativement peu nombreux. Néanmoins, ils mènent bonne guerre contre la cristallisation théologique et les déclarations académiques. Leur victoire est immanquable et ils sauveront ainsi l'esprit religieux.
Essayons ensuite de discerner les buts que devrait se proposer le nouveau mouvement éducatif et ce qui doit le guider sur la voie. Essayons de formuler un plan à longue portée, qui ne rencontrera point d'obstacle dans les méthodes immédiatement employées, plan destiné à relier le passé au futur en utilisant tous les éléments vrais, beaux et bons, hérités du passé, mais qui insistera sur certains objectifs de base, trop négligés jusqu'à présent. Ces techniques et ces méthodes plus récentes doivent se développer graduellement et hâteront le processus d'intégration de l'homme complet.
Enfin, pour conclure sur une note spirituelle, le monde futur n'a d'autre espoir qu'en une humanité qui accepte le Fait de la divinité, même si elle répudie la théologie, qui reconnaisse la présence du Christ vivant, tout en rejetant les interprétations qu'ont données les hommes de Lui, et de Son message, et enfin qui accentue l'autorité de l'âme humaine.
Dans tout cela, veillons à demeurer résolument optimistes. L'avenir s'ouvre à nous, plein de promesses. Fondons notre optimisme sur l'humanité même.
Reconnaissons le fait éprouvé qu'en chacun existe une qualité particulière, une caractéristique innée, inhérente, qu'on pourrait appeler la "perception mystique". Cette caractéristique donne un sens immortel du divin, demeuré souvent inconscient ; elle implique la constante possibilité d'obtenir la vision et le contact avec l'âme, celle de saisir la nature de l'univers avec une aptitude sans cesse croissante. Elle permet au philosophe d'apprécier le monde intelligible et, à travers cette perception, de toucher à la Réalité. C'est pardessus tout la faculté d'aimer et d'aller vers ce qui est différent de soi. Cela confère la capacité de saisir les idées. L'histoire de l'humanité est au fond l'histoire du développement des idées, comprises peu a peu et de la détermination de l'homme d'y conformer sa vie. Cette faculté s'accompagne de la capacité de pressentir l'inconnu, de croire à ce qu'on ne peut prouver, de chercher, de s'informer et d'exiger la révélation de ce qui est caché et voilé et qui se révèle, siècle après siècle, grâce à l'exigence de cet esprit d'investigation.
C'est le pouvoir de reconnaître le beau, le vrai, le bien, et de prouver leur existence au moyen des arts créateurs. C'est cette faculté spirituelle inhérente qui a produit tous les grands Fils de Dieu, toutes les grandes individualités spirituelles, les artistes, les savants, les philanthropes, les philosophes et tous ceux qui aiment leurs semblables et se sacrifient pour eux.
Telles sont les raisons qui donnent optimisme et courage à tous les vrais éducateurs, c'est aussi la source dont s'inspirent leurs efforts.