LES ETATS-UNIS

Je vais encore toucher au problème de cette puissante nation, les Etats-Unis d'Amérique. Le problème psychologique, que doit affronter cette nation, est d'apprendre à assumer une responsabilité, qui s'étend au monde entier. La Grande-Bretagne et la Russie ont toutes deux, dans une certaine mesure, appris cette leçon.

Le peuple américain, au sortir de l'adolescence, doit apprendre des leçons de la vie par l'expérimentation, et acquérir ainsi de l'expérience. Tous les peuples jeunes doivent apprendre cette leçon. La race allemande est vieille, mais la nation allemande est très jeune. Le peuple italien remonte à une antique origine ; l'Etat italien est de date toute récente dans l'histoire. L'accusation d'être jeune (si accusation il y a) s'applique aussi aux Etats-Unis. Un grand avenir est promis à cette nation, non à cause de sa puissance matérielle, ou de ses capacités commerciales, comme le pensent bien des matérialistes. La raison s'en trouve dans son idéalisme inné, profondément spirituel, ses énormes possibilités humanitaires, et, par-dessus tout, sa race, qui provient d'une souche vierge, non épuisée, recrutée surtout parmi les classes moyennes et paysannes.
D'un mouvement régulier, dans tous les pays, le pouvoir gouvernemental et celui de déterminer les idéologies pratiques passe rapidement entre les mains du "peuple", en échappant à celles des classes dites dirigeantes et de l'aristocratie. Des pays comme la Grande-Bretagne et la France, où les tendances générales de l'évolution sont acceptées, peuvent avancer plus aisément vers l'avenir que des pays comme l'Espagne ou la Pologne, gouvernés depuis des siècles par une aristocratie dominatrice et une Eglise mêlée à la politique. Les Etats-Unis ne s'embarrassent point de telles entraves, à part la puissance du capital et de la finance, qui cherchent à s'assurer le contrôle. Cela s'applique aussi dans une large mesure à la Grande-Bretagne.

Aux Etats-Unis, les souches du peuple proviennent nécessairement d'autres pays, car ses citoyens ont, à l'origine, émigré de ces pays. Il n'y existe point d'indigènes, sauf les Peaux-Rouges, dépossédés sans merci par la marée montante venue d'ailleurs. Les groupes raciaux à l'intérieur des Etats portent encore les marques de leurs origines et de leur héritage racial.
Psychologiquement et physiquement, ils sont de provenance italienne, anglaise, finnoise, allemande ou autre. A cette circonstance est due une partie du miracle de cette nation à l'intégration rapide.

Comme tous les jeunes, symboliquement parlant, le peuple des Etats-Unis manifeste des signes d'adolescence. Toujours symboliquement parlant, le peuple des Etats-Unis a de dix-sept à vingt-quatre ans. Il clame sa liberté et pourtant, il n'est pas libre ; il refuse d'accepter des conseils, parce que cela enfreint ses droits, mais se laisse souvent mener par des politiciens ineptes et partisans, ou par des incapables. Il se montre à la fois d'une large tolérance et de la plus violente intolérance à l'égard d'autres nations. Prêt à enseigner aux autres comment s'attaquer à leurs problèmes, il ne manifeste pas encore la capacité de résoudre les siens, comme en témoigne le traitement anticonstitutionnel des Nègres américains, privés de liberté et d'opportunité.
Sans cesse, il tente des expériences dans toutes les phases de la vie, avec toutes sortes d'idées et toutes sortes de relations. C'est bien ainsi et c'est juste : il faut que jeunesse se passe. Profondément religieux et d'une bonté innée, il développe pourtant une intolérance croissante à l'égard de la race juive, qui menace de devenir un problème national. La puissance créatrice de la race américaine s'exprime encore dans une admirable maîtrise de la nature et par de grandioses projets de travaux d'art, pour utiliser l'eau, pour couvrir toute cette vaste contrée d'un réseau de routes et de canaux. L'Amérique est le grand champ de bataille de l'expérimentation, dans le domaine de l'invention. Elle s'intéresse profondément à l'essai de toute espèce d'idéologie. La lutte entre le capital et les forces ouvrières atteindra son point culminant aux Etats-Unis, mais se livrera aussi en Grande-Bretagne et en France. La Russie a déjà sa propre solution, mais les nations de moindre importance seront guidées et influencées par le résultat de cette bataille dans le Commonwealth britannique et aux Etats-Unis. J'espère traiter ce sujet plus tard.

L'ordre qu'il importe de faire régner aux Etats-Unis, viendra quand la liberté y sera interprétée en termes d'une discipline librement consentie. Une liberté interprétée par chaque individu au mieux de ses propres intérêts peut dégénérer en licence et constitue un danger à éviter. Les meilleurs esprits sont profondément avertis de ce danger.

Comme tous les jeunes, l'Amérique se sent supérieure aux nations plus mûres. Les Américains se jugent volontiers plus idéalistes, plus sensés, plus amoureux de liberté que les autres. Il leur arrive d'oublier que, si certaines nations sont arriérées, il en existe plusieurs dans le monde, dont l'idéalisme est aussi élevé, les mobiles aussi sensés et qui envisagent les problèmes mondiaux avec une maturité et une expérience supérieures. En outre, comme tous les jeunes, l'Amérique critique vivement autrui, mais prend toujours en mauvaise part les critiques, ou, souvent, ne les remarque même pas. Cependant, l'Amérique est aussi sujette à critiques que n'importe quelle autre nation.
Toutes ont une vaste opération de nettoyage à effectuer chez elles et la difficulté consiste, cette fois, à le faire tout en observant strictement leurs obligations internationales. Aucune nation ne peut, aujourd'hui, vivre pour soi.
Essaierait-elle de le faire, qu'elle s'engagerait dans une voie fatale et c'est en quoi consiste l'aberration isolationniste. En fait, nous avons aujourd'hui un seul monde et en ces mots se résume tout le problème psychologique de l'humanité.
Le but est de parvenir à de justes relations humaines. Les nations demeureront ou s'écrouleront précisément dans la mesure où elles se conformeront à ce point de vue. L'ère à venir – de par la loi de l'évolution et la Volonté de Dieu – verra s'établir de justes relations humaines.

Nous sommes au seuil d'une vaste période d'expériences et de découvertes ; nous allons découvrir exactement ce que nous sommes, en tant que nations, dans nos rapports entre groupes, à travers notre expression religieuse et dans nos modes de gouvernements. A cette ère extrêmement difficile, on ne réussira à survivre que si chaque nation consent à admettre ses propres défauts internes, pour y remédier avec clairvoyance et des visées délibérément humanitaires. Pour chacune, cela signifie vaincre son orgueil et réaliser l'unité intérieure. Chaque pays est sujet aujourd'hui à des divisions intestines entre groupes hostiles : idéalistes et réalistes, politique partisane, ou éclairée et à longue portée, groupes religieux fanatiquement attachés à leurs propres idées, capitalistes et ouvriers, isolationnistes et internationalistes, ceux qui sont violemment opposés à certains groupes ou à certaines nations et ceux qui agissent avec violence en faveur de ces dernières.
Le seul facteur qui puisse finalement à la longue amener l'harmonie et mettre fin à ces conditions chaotiques, ce sont de justes relations humaines.

Chaque pays a aussi beaucoup à offrir, mais aussi longtemps que cette contribution est considérée sous l'aspect de sa valeur commerciale ou de son utilité politique, comme maintenant, pareille contribution ne joue pas en faveur des justes relations humaines. Je reviendrai là-dessus plus tard, en traitant du quatrième problème.

Chaque pays doit aussi recevoir de tous les autres. Cela implique la reconnaissance de certaines lacunes spécifiques, ainsi que le consentement à recevoir d'autrui, d'égal à égal.

Chaque pays apporte sa note particulière et doit se mettre à l'unisson, pour aller enfler l'immense chœur de toutes les nations. Pour cela, il faut restaurer la pureté de la religion, et laisser libre cours à l'impulsion spirituelle naissante en chaque contrée. Il n'en est pas ainsi actuellement, car les formes théologiques oppriment encore la vie religieuse.

Son passé historique, ses hauts faits et ses lois placent chaque nation en étroites relations avec toutes les autres et ceci est plus vrai peut-être pour les Etats-Unis, parce que ses nationaux sont issus de toutes les races connues.
L'isolationnisme était vaincu avant même d'avoir dressé sa vilaine tête, car le peuple américain est international, au fond, de par son origine.

L'humanité, on l'a dit auparavant, est le disciple mondial ; l'élan qui pousse à la désintégration des vieilles formes du monde est un élan spirituel. La vie spirituelle de l'humanité est à présent si forte, qu'elle fait éclater toutes les formes actuelles de l'expression humaine. Le monde du passé est périmé, fini pour toujours et le nouveau monde des formes n'est pas encore apparu. Sa construction sera caractéristique de la vie créatrice de l'esprit humain, vie qui est en train de naître. Le facteur important à retenir, c'est que cet esprit est un, chaque nation doit apprendre à reconnaître cet esprit en elle-même et en chacune des autres.