LES MINORITES

 

Il existe des minorités nationales et internationales. Sur le plan international, de puissantes majorités constituent les Trois, les Quatre ou les Cinq Grands et de nombreuses nations plus petites, exigent des droits égaux, des votes égaux, une situation égale. Ces pays plus petits ont peur des plus grands et de leur pouvoir d'imposer leur volonté. Ils ont peur d'être exploités par une nation puissante ou une association de nations, se méfient des faveurs et de 'appui, à cause des dettes qui peuvent leur être réclamées plus tard et se sentent incapables d'imposer leur volonté ou d'exprimer leurs désirs, à cause de leur faiblesse militaire et de leur impuissance politique. Nous avons donc aujourd'hui de grandes nations influentes, comme l'U.R.S.S., le Commonwealth britannique et les E.U.A. ; nous avons aussi des puissances, qui ont été grandes mais ont compromis tout droit à être reconnues, comme les pays de l'Axe (Ecrit en février 1946.), enfin, des nations comme la France et l'Espagne, dont l'influence est secondaire, mais qui s'en montrent fort vexées, puis un grand nombre de nations plus petites, chacune avec sa vie individuelle, sa civilisation et sa culture. Toutes, sans exceptions, caractérisent par leur esprit nationaliste, leur détermination de s'accrocher à ce qu'elles possèdent, ou ont possédé, à tout prix, et toutes dotées d'un passé historique et d'une tradition locale, qui conditionnent leurs idées. Toutes ont leur culture, développée ou en voie de développement, et toutes sont liées entre elles par ce que nous appelons la civilisation moderne. Celle-ci, fondée sur le matérialisme, a nettement failli à donner aux hommes le sens des valeurs réelles, qui seules peuvent rapprocher l'humanité et mettre fin à la grande hérésie de la séparativité.

Toutes ces nations, grandes ou petites, ont cruellement souffert durant la guerre (1914-1945). Certaines ont souffert plus que d'autres, l'occasion leur étant ainsi offerte de manifester la purification qui en résulte ; d'autres ont choisi la voie facile et, pendant la guerre, s'abstinrent de prendre parti, ce qui leur a fait perdre une chance spirituelle, partant du principe du partage. Il leur faudra apprendre la leçon de la souffrance d'autre manière et plus lentement.
Les nations de l'hémisphère occidental n'ont pas souffert de façon aiguë, car leurs territoires ont été épargnés et leur population civile a vécu dans le confort et l'abondance. Là aussi, elles ont perdu quelque chose et devront apprendre autrement la grande leçon de l'humanité, l'identification et la non-séparativité.

Les grands et les petits se trouvent aujourd'hui devant un monde nouveau, ils ont perdu confiance dans les vieilles coutumes et rares sont, en réalité, ceux qui souhaitent la restauration des anciennes conditions de vie. Les nations, grandes et petites, luttent sur les plans politique, économique et diplomatique pour obtenir le maximum, chacune pour soi. La méfiance et l'esprit critique règnent ; personne ne se sent vraiment en sécurité, et surtout parmi les minorités. Quelques grandes nations, comprenant bien qu'il n'y a point de paix pour le monde, sans justice pour chacun, s'efforcent de créer une organisation, où chacun aura sa place et sa chance, mais leurs efforts partent surtout d'un bon sens égoïste. Elles savent aussi que la sécurité matérielle et des biens en suffisance doivent se produire par un compromis entre le passé et la vision, encore impossible à réaliser, des idéalistes. Leurs objectifs, toutefois, restent matériels, physiques et tangibles et si elles les présentent sous un angle idéaliste, leurs motifs demeurent égoïstes. Cela constitue néanmoins un grand pas en avant. L'idéal est universellement reconnu, même s'il reste encore un rêve.

En considérant l'image du monde, il faut la voir sous son vrai jour, et admettre que, si les mesures les plus favorables, spirituellement et matériellement, étaient prises, à l'égard des minorités les plus petites et les moins importantes, cela créerait une situation qui, en renversant complètement la politique mondiale, inaugurerait une ère entièrement nouvelle, plus éclairée, plus cultivée et civilisée. Néanmoins, cela n'arrivera probablement pas, car les intérêts s'enchevêtrent et la pratique d'un système parfaitement juste et loyal, dans un seul cas, affecterait des intérêts matériels très importants, et porterait atteinte aux soi-disant droits des nations puissantes. Cela dépasserait les limites établies et indignerait des groupes puissants jusqu'aux extrémités de la terre.

Dans chaque pays, le grand péché de la séparativité relève sa tête repoussante ; les minorités abondent et sont bernées ; les clivages existent partout ; les partis réclament l'attention et les adhésions ; les groupes religieux répandent la dissension et cherchent à augmenter leurs fidèles aux dépens d'autres groupes ; les riches s'organisent pour regagner le contrôle des finances mondiales, les pauvres luttent pour obtenir leurs droits et de meilleures conditions de vie ; la tyrannie des politiques égoïstes domine à la fois capital et travail et la dictature de ces deux groupes empoisonne la vie quotidienne du peuple, dans tous les pays. Quoique la guerre, au sens strictement militaire, soit terminée, le combat se poursuit sur un autre théâtre et semble même avoir gagné en envergure. Les nations refusent de mettre de l'ordre chez elles, tout en s'efforçant frénétiquement d'enseigner à leurs voisins ce qu'elles considèrent comme la meilleure méthode. Les minorités de tout pays saisissent cette occasion pour récolter ce qu'elles peuvent et pêcher en eau trouble, comme par exemple ceux qui essayent de susciter des difficultés entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. 

Ce tableau tragique est fidèle. Heureusement, il n'est pas le seul. L'étude de l'autre tableau redonne l'optimisme et une foi inébranlable dans le plan divin et la beauté de l'être humain. Dans toutes les nations il se trouve des individus dotés d'une vision supérieure d'un monde meilleur, et qui pensent, parlent, établissent des projets en termes de l'humanité ; ils réalisent que les éléments des divers groupes politiques, religieux, éducatifs et ouvriers, sont des hommes et des femmes, essentiellement et même si c'est inconsciemment, ils sont frères.
Regardant le monde comme un tout, ils travaillent à son unification inévitable, ils reconnaissent les problèmes des nations, grandes et petites et la difficile situation où se trouvent aujourd'hui les minorités. Ils savent que l'usage de la force produit des résultats sans grande efficacité, parce que beaucoup trop onéreux et, habituellement, peu durables. Ils comprennent que le seul espoir véritable est d'éclairer l'opinion publique, et ce qui résultera de saines méthodes éducatives ainsi que d'une propagande loyale et exacte.

De toute évidence, je ne puis reprendre ici l'histoire des minorités, dans le domaine international, ni m'occuper, par exemple, du combat mené par les petites nations pour faire reconnaître ce qu'à tort ou à raison, elles considèrent comme leurs justes droits. Ecrire l'histoire des petites nations demanderait des années, puis la lire, ensuite, de même. Ce serait une histoire de l'humanité comme toutes les histoires, et je ne puis en traiter. Tout ce qu'on peut faire, c'est de reconnaître que le cas des minorités demande à être examiné, leurs problèmes à être résolus ; mais justice ne peut être faite, un partage des richesses économiques mondiales et des chances égales ne seront possibles que si certains grands principes généraux sont d'abord acceptés par l'ensemble de l'opinion publique. J'espère traiter de ces principes à la fin de ce chapitre, en examinant les solutions possibles au problème des minorités.

Je veux pourtant toucher aux problèmes de trois minorités à cause de l'attention considérable qu'ils retiennent aujourd'hui et du grand pas en avant, vers une bonne intelligence mondiale, que cela représenterait s'ils pouvaient être résolus.

1.
Le problème juif
Les Juifs constituent une minorité internationale fort agressive, qui fait beaucoup parler d'elle ; ils constituent aussi une minorité nationale dans presque toutes les nations du monde. Leur cas est donc unique.

2.
Le problème des Nègres
Autre problème unique, car les Nègres constituent une majorité dans le vaste continent, encore peu développé, de l'Afrique et, en même temps, une minorité aux Etats-Unis d'Amérique où ils sont l'objet d'une grande attention. Leur problème est unique en ce sens que le problème se pose surtout aux Blancs qui doivent le résoudre, car ce sont eux qui l'ont suscité et le perpétuent.

3.
Le problème de l'Inde (Ecrit en février 1946.)
Problème d'un peuple conquis, qui lutte pour reprendre son pays. La majorité hindoue – si l'on peut ainsi parler, quand il s'agit d'un tel mélange de races – est paralysée dans ses efforts par ses premiers conquérants, les Musulmans, qui constituent une minorité puissante et virile. Le problème est compliqué par la présence d'une minorité britannique, ayant pris commercialement possession du pays au XVIIIème siècle et gardé le contrôle depuis lors. Le problème demeure fondamentalement un problème entre Hindous et Musulmans.

Si nous pouvons nous faire quelque idée de la valeur réelle de ces problèmes, matériellement et spirituellement, tout en pénétrant un peu les responsabilités impliquées, cela pourrait être fort utile. Dans le cas des Juifs, le péché de séparativité est aussi profondément inhérent à la race même, que dans les peuples chez qui ils vivent ; mais les Juifs sont les principaux responsables de la continuation de cette séparativité. Pour les Nègres, l'instinct séparatiste provient des Blancs ; le Nègre lutte pour y mettre un terme, aussi les forces spirituelles du monde sont-elles du côté des Nègres. Dans le cas de l'Inde, il existe trois groupes principaux, fort différents, avec des idéals divers, des tendances raciales fort différentes, et des nombreuses formes de religion, qui essaient de résoudre un problème vieux de plusieurs siècles, qui date de bien avant l'occupation britannique. Mais le même grand mal de la séparativité sévit à travers ces groupes, tout comme il sévit parmi les trois minorités que j'ai choisi d'étudier.