LE CHAMP DE L'EVOLUTION
Aucune autre période, dans l'histoire de la pensée, n'a ressemblé tout à fait à la nôtre. Les penseurs du monde entier ont pris conscience de deux choses : d'abord, que la région du mystère n'a jamais été aussi clairement circonscrite qu'aujourd'hui ; ensuite que l'on peut y pénétrer plus facilement qu'autrefois.
Elle peut donc, en conséquence, être amenée à nous livrer certains de ses secrets, si toutes les écoles poursuivent leurs recherches avec ténacité. Les problèmes qui nous affrontent, lorsque nous étudions les faits connus de la vie et de l'existence, peuvent être plus clairement définis qu'à aucune autre poque, et bien que nous ne possédions pas la réponse à nos questions, bien que nous n'ayons pas encore découvert la solution de nos problèmes, bien qu'aucune panacée ne se trouve à portée de notre main pour guérir les maux du monde, le seul fait, cependant, de pouvoir les définir, de pouvoir montrer du doigt la direction dans laquelle se trouve le mystère, et de savoir que la lumière de la science, de la religion et de la philosophie a été répandue sur d'immenses domaines considérés jadis comme des terres enveloppées de mystère, est une garantie de succès pour l'avenir. Nous savons infiniment plus de choses qu'il y a cinq cents ans – exception faite de quelques rares cercles de sages et de mystiques ; nous avons découvert un grand nombre de lois de la nature, bien que nous ne puissions encore les appliquer, de sorte que la connaissance des "choses telles qu'elles sont" (je choisis intentionnellement ces mots), a progressé à pas de géant.
Cependant, la terre du mystère demeure encore en friche, et les problèmes qui se posent à nous sont encore nombreux. Il y a le problème de notre vie individuelle – quelque soit le sens que l'on donne à ce mot ; il y a le problème de ce qu'on appelle, d'une façon générale, le "non-soi", et qui concerne notre corps physique, notre entourage, et nos conditions d'existence ; si nous possédons une tendance à l'introspection, nous nous heurterons aussi au problème de notre ambiance émotive personnelle, c'est-à-dire aux pensées, aux désirs et aux instincts grâce auxquels nous contrôlons l'action. Les problèmes du groupe sont également nombreux. Pourquoi le monde dans son ensemble, doit-il être la proie du dénuement, de la maladie, de la douleur ? Quel est le dessein qui se cache derrière tout ce que nous voyons autour de nous, et quel sera le dénouement des affaires mondiales, considérées dans leur ensemble ?
Quelle est la destinée du genre humain, quelle est son origine, et comment expliquer sa condition actuelle ? Existe-t-il autre chose que cette vie-ci, ou n'y a-t-il rien qui mérite notre intérêt, en dehors du monde visible et matériel ? Ces questions hantent l'esprit de tous les penseurs, à travers les siècles.
Bien des tentatives ont été faites, déjà, pour répondre à ces questions ; en les étudiant de plus près, nous remarquons que les réponses se répartissent en trois catégories et que trois solutions principales sont proposées à notre examen. Ce sont les suivantes :
D'abord, le Réalisme. Cette école porte aussi un autre nom : c'est le matérialisme. Elle enseigne "que le monde extérieur, tel qu'il se projette dans notre conscience, est vrai" ; que les choses sont ce qu'elles semblent être ; que la matière et la force, telles que nous les connaissons, sont la seule réalité, et qu'il est impossible pour l'homme d'aller au-delà de ce qui est tangible. Il doit donc se contenter des faits tels qu'il les connaît, ou tels que la science les lui décrit. Cette méthode de raisonnement est parfaitement légitime mais, pour certains d'entre nous, elle est insuffisante en ce sens qu'elle ne va pas assez loin. En refusant de s'occuper de quoi que ce soit qui ne puisse être éprouvé et démontré, elle s'arrête au moment précis où le chercheur dit : "C'est ainsi, mais pourquoi ?". Elle néglige bien des choses connues et considérées comme étant la vérité par l'homme moyen, bien qu'il soit peut-être incapable de dire pourquoi il les considère comme vraies. Partout les hommes rendent hommage à l'exactitude objective de l'école réaliste et de la science matérialiste, mais en même temps ils sentent d'une façon instinctive qu'il existe, au-dessous de la manifestation démontrable, une force vitale et un dessein cohérent qui ne peuvent être démontrés par les seules lois de la matière.
Deuxièmement, il y a le point de vue auquel convient le mieux, peut-être, le nom de surnaturalisme. L'homme est en train de s'apercevoir que les choses ne sont pas exactement ce qu'elles semblent être et que beaucoup d'entre elles demeurent inexplicables. Il commence à se rendre compte que lui-même n'est pas un simple agrégat d'atomes physiques, un je ne sais quoi de purement matériel et un corps tangible, mais qu'il existe en lui, à l'état latent, une conscience, une puissance, et une nature psychique qui le relie non seulement à tous les autres membres de la famille humaine, mais encore à une puissance extérieure à lui-même qu'il doit à tout prix expliquer. C'est ce qui a conduit, par exemple, à l'évolution du point de vue Chrétien et Juif qui postule un Dieu situé en dehors du système solaire, Qui le créa, tout en lui étant Lui-même extérieur. Ces systèmes de pensée nous enseignent que le monde a été façonné par une Puissance ou un Etre Qui a construit le système solaire, et Qui guide les mondes, gardant notre frêle vie humaine dans le creux de Sa main, et Qui "ordonne avec amour" toutes choses, en vue de quelque fin cachée que nos esprits bornés ne peuvent ni entrevoir, ni à plus forte raison, comprendre. Ceci est le point de vue religieux et surnaturaliste. Il est basé sur la conscience croissante que l'individu prend de lui-même, et sur la reconnaissance de sa propre divinité. Comme le point de vue de l'école réaliste, il n'incarne qu'une vérité partielle et a besoin d'être complété.
La troisième ligne de pensée pourrait être appelée idéaliste. Celle-ci postule la présence d'un processus d'évolution à l'intérieur de toute manifestation et identifie la vie avec le processus cosmique. Il est exactement à l'opposé du matérialisme et place la déité surnaturelle, prêchée par le penseur religieux, dans la position d'une Entité ou Vie Qui évolue à travers et par le moyen de l'univers, de même que l'homme est de la conscience évoluant par l'entremise d'un corps physique objectif.
Dans ces trois points de vue – matérialiste, surnaturaliste et idéaliste – vous avez les trois axes principaux de la pensée, tels qu'ils ont été mis en avant pour expliquer le processus cosmique ; tous trois représentent des vérités partielles ; tous trois, suivis isolément, mènent à l'impasse et aux ténèbres et laissent le mystère central irrésolu. Synthétisés, rapprochés et mélangés, fondus enfin en un tout harmonieux, ils incorporent peut-être (je n'avance ceci qu'à titre d'hypothèse) tout ce qu'un esprit humain peut saisir de la vérité évolutionnaire, au stade d'évolution où nous sommes parvenus.
Nous abordons ici de vastes problèmes et nous touchons peut- être à des choses élevées et sublimes. Nous faisons effraction dans des régions qui sont le domaine réservé de la métaphysique ; et nous nous efforçons de condenser, en quelques brefs entretiens le contenu de toutes les bibliothèques du monde ; nous sommes donc en train de tenter l'impossible. Tout ce que nous puissions faire, c'est examiner brièvement et d'une façon cursive, d'abord un aspect de la vérité, puis un autre. Tout ce que nous puissions accomplir, c'est tracer le schéma des lignes fondamentales de l'évolution, étudier leurs rapports mutuels et leurs relations vis-à-vis de nous-mêmes en tant qu'entités conscientes ; et tenter enfin de fusionner et de synthétiser le peu que nous savons, en attendant qu'une idée générale du processus, considéré dans son ensemble, se dégage et s'éclaire.
Chaque fois que nous énonçons une vérité, nous devons toujours nous rappeler que ce que nous avançons procède d'un point de vue particulier.
Qu'est-ce que la vérité ? Jusqu'à ce que nous ayons développé nos facultés mentales au point de pouvoir penser indifféremment en termes abstraits ou concrets, il nous sera impossible de répondre à cette question, ni même d'exprimer aucun aspect de la vérité sans lui faire subir une déformation grave.
Certains ont un horizon plus large que d'autres, et certains peuvent voir l'unité qui se cache derrière les aspects dissemblables. D'autres sont enclins à croire que leurs vues et leurs interprétations sont les seules valables. J'espère élargir tant soit peu ce point de vue au cours de ces entretiens. J'espère aussi arriver à faire comprendre que l'homme qui ne s'intéresse qu'à l'aspect scientifique des problèmes, et qui se confine aux manifestations purement matérielles, se consacre tout autant à l'étude du divin que son frère purement religieux qui ne se préoccupe que du côté spirituel ; et que le philosophe, en fin de compte, travaille à mettre en évidence la signification profonde de l'intelligence qui sert de lien entre les aspects matériel et spirituel et les fond en un tout cohérent. Peut-être, par l'union des trois lignes de la science, de la religion et de la philosophie, pourrons nous parvenir à acquérir une connaissance pratique de la vérité telle qu'elle est, sans oublier, en même temps, que "la vérité est en nous". L'expression de la vérité énoncée par un seul homme n'est jamais son expression totale, et le seul objet de la pensée est de nous permettre de travailler sur le plan mental, d'une façon constructive pour nous-mêmes.
Je voudrais, ce soir, vous exposer mon plan d'ensemble, poser les fondements de nos futurs entretiens, et aborder les lignes principales de l'évolution. La ligne la plus apparente est, nécessairement, celle qui traite de l'évolution de la substance, avec l'étude de l'atome et de la nature de la matière atomique. Ce sera l'objet de notre prochain entretien. La science a beaucoup à nous apprendre sur l'évolution de l'atome, elle s'est considérablement éloignée, depuis cinquante ans, du point de vue adopté au cours du siècle dernier. Au XIXème siècle, l'atome a été considéré comme une unité indivisible de la substance ; maintenant, on y voit un centre d'énergie, une force électrique.
L'évolution de la substance nous conduira tout naturellement à l'évolution des formes, ou agrégats d'atomes, et alors s'ouvrira à notre regard l'étude passionnante des formes autres que celles ayant un caractère purement matériel – des formes faites d'une substance plus subtile, telles que les formes de la pensée, des races et des organisations. Dans cette double étude, nous mettrons en évidence une des formes de la déité que vous pourrez appeler, à votre choix, soit la "déité" elle-même, soit l'une des manifestations de la nature, si vous préférez cette expression moins sectaire.
Nous serons alors amenés à considérer l'évolution de l'intelligence, ou du facteur de l'esprit qui travaille en tant que dessein ordonné dans tout ce que nous voyons autour de nous. Ceci nous révélera un monde qui ne suit pas aveuglément son chemin, mais derrière lequel on décèle un plan, un schéma coordonné, un concept organisé en train de se réaliser à travers la forme matérielle. Une des raisons pour lesquelles les choses nous paraissent si difficiles à comprendre provient de ce que nous sommes au milieu d'une période de transition, et que le plan, en tant que tel, est encore imparfait ; nous sommes encore trop près du mécanisme et faisons nous-mêmes partie du tout.
Nous en apercevons tantôt une partie tantôt une autre, mais la grandeur majestueuse de l'idée ne nous est pas totalement visible. Nous pouvons avoir une vision, nous pouvons avoir un moment de suprême révélation mais, quand nous entrons en contact avec la réalité, nous nous demandons s'il est possible que l'idéal se matérialise, tant la forme tangible et la force qui l'utilise semblent mal ajustées et privées de toute relation intelligente.
La reconnaissance du facteur de l'intelligence nous mènera inévitablement à la contemplation de l'évolution de la conscience sous ses formes innombrables, en partant des types de conscience que nous considérons comme sub-humains, pour aboutir, à travers l'humain, à cette conscience surhumaine qui, bien qu'indémontrable, peut être logiquement postulée. La question qui se posera alors sera la suivante : qu'y a-t-il derrière tous ces facteurs ? Y a-t-il, derrière la forme objective et l'intelligence qui l'anime, une évolution qui corresponde à la faculté du "moi", à l' "Ego" humain ? Y a-t-il, dans la nature et dans tout ce qui nous entoure, le dessein d'un Etre individualisé et conscient ?
Si un tel Etre, une telle existence fondamentale existe, nous devrions pouvoir déceler quelque trace de Ses activités intelligentes et observer la maturation de Ses plans. Même si nous ne pouvons prouver l'existence de Dieu, et même si nous ne pouvons affirmer que la Déité existe, il est au moins possible de dire que l'hypothèse de son existence est une hypothèse raisonnable, une suggestion rationnelle, et la solution possible de tous les mystères que nous voyons autour de nous. Mais, pour pouvoir le faire, il nous faut démontrer qu'il existe un dessein intelligent travaillant à travers des formes de toutes sortes, à travers les races et les nations, à travers toutes les manifestations visibles de la civilisation moderne ; il nous faudra démontrer les démarches de ce dessein et la croissance de ce plan, et cette démonstration nous aidera peut-être à voir ce qui nous attend dans les stades futurs.
Considérons un instant ce que signifient ces mots : "le processus évolutionnaire" : Ce sont là des termes que l'on emploie couramment et l'homme moyen sait parfaitement que le mot "évolution" suggère un déploiement du dedans vers le dehors, un déroulement qui part d'un centre intérieur, mais il nous faut définir cette idée plus clairement afin d'en obtenir une conception plus juste. Une des meilleures définitions que j'ai rencontrée décrit l'évolution comme "le déploiement d'un pouvoir de réponse toujours croissant". Nous avons ici une définition des plus lumineuses, si nous considérons l'aspect matériel des choses. Elle inclut la conception de la vibration et de la réponse à cette vibration ; et, bien qu'il nous faille écarter plus tard le terme de matière pour employer une image plus suggestive comme celle de "centre de force", par exemple, le concept n'en subsiste pas moins, car la réponse de ce centre à la stimulation extérieure n'en est que plus visible encore. Cette même définition conserve toute sa valeur lorsque nous l'appliquons à la conscience humaine. Elle inclut l'idée d'une compréhension toujours croissante, du développement de la réponse de la vie subjective à son milieu ambiant, et elle nous conduit, toujours en montant, vers l'Idéal d'une Existence unifiée formant la synthèse de toutes les lignes de l'évolution et à la conception d'une Vie centrale, ou force, qui fond et lie ensemble toutes les unités évoluantes, que ce soit des unités de matière comme l'atome du chimiste et du physicien, ou des unités de conscience comme les êtres humains. Telle est l'évolution, le processus qui déploie la vie à l'intérieur de toutes ses unités, la poussée développante qui finit par fondre toutes les unités et tous les groupes, jusqu'à ce que l'on parvienne à cette somme totale des manifestations que l'on peut appeler la Nature, ou Dieu, et qui est l'agrégat de tous les états de conscience. Ceci est le Dieu auquel le Chrétien se réfère lorsqu'il dit :
"Car en lui nous avons la vie, le mouvement et l'être". Ceci est la force ou énergie qu'admet l'homme de science ; ceci est aussi le mental universel, ou la "grande âme" du philosophe. Et ceci encore est la Volonté intelligente qui contrôle, formule, lie, construit, développe et amène tout à son ultime perfection. Ceci est la Perfection inhérente à la matière elle-même et la tendance latente dans l'atome, dans l'homme et dans tout ce qui est. Cette interprétation du processus de l'évolution ne considère pas celui-ci comme l'opération d'une Déité extrinsèque, déversant Son énergie et Sa sagesse sur un monde inerte et expectant, mais plutôt comme une chose immanente au monde lui-même, qui gît cachée au centre de l'atome, au cœur de l'homme, dans la planète et dans le système solaire. C'est quelque chose qui mène et pousse tout vers un but, c'est la force qui fait émerger graduellement l'ordre du chaos ; le bien, du mal apparent ; la perfection finale, de l'imperfection temporaire ; et, hors des ténèbres et du désastre, ce que nous reconnaîtrons un jour comme étant beau, bon et vrai. C'est tout ce dont nous avons eu la vision et ce que nous avons conçu à nos heures les meilleures et les plus élevées.
L'évolution a aussi été définie : "un développement cyclique", et cette définition me fait arriver à une pensée que je désire vous voir comprendre très clairement. La nature se répète incessamment, jusqu'à ce que certaines fins aient été atteintes, certains résultats concrets réalisés et certaines réponses faites à la vibration. C'est par la reconnaissance de ces choses que nous pouvons démontrer le dessein intelligent de l'Existence immanente. La méthode par laquelle ces choses se réalisent est la discrimination, c'est-à-dire le choix intelligent. Il y a, dans les manuels des différentes écoles, beaucoup de mots dont on se sert pour exprimer la même idée générale, comme la "sélection naturelle", ou "l'attraction et la répulsion". Je voudrais, si possible, éviter les termes techniques, parce qu'une école de pensée s'en sert pour exprimer une chose, et une autre école, une chose différente. Si nous pouvions trouver un mot d'une signification semblable, mais cependant libre de toute attache avec aucune ligne de pensée précise, nous pourrions jeter une clarté nouvelle sur le problème qui nous intéresse. L'attraction et la répulsion dans le système solaire ne sont que la faculté discriminative de l'atome ou de l'homme opérant dans les planètes et dans le soleil. On la trouve dans toutes les espèces d'atomes ; nous pouvons l'appeler "adaptation", si nous voulons, c'est-à-dire le pouvoir, dévolu à l'unité, de croître et de s'adapter à son milieu, par le rejet de certains facteurs et l'adoption d'autres. Elle se manifeste chez l'homme sous forme de libre arbitre ou pouvoir de choisir, et chez l'homme spirituel elle prend l'aspect de la tendance au sacrifice, car l'homme choisit alors la ligne d'action particulière qui bénéficie au groupe auquel il appartient et rejette ce qui est purement égoïste.
Nous pourrions, enfin, définir l'évolution comme étant le changement ordonné et la mutation constante. Elle se décèle dans l'activité incessante de l'unité ou de l'atome, par l'action mutuelle des groupes les uns sur les autres et par le jeu perpétuel d'une force, ou type d'énergie, avec une autre force.
Nous avons vu que l'évolution, que ce soit celle de la matière, de l'intelligence, de la conscience ou de l'esprit, consiste en un pouvoir toujours croissant de réponse à la vibration, qu'elle progresse par le moyen de changements incessants, par l'application d'une ligne de conduite sélective, c'est-à-dire par l'usage de la faculté de discrimination ou par la méthode du développement cyclique, ou répétition. Les stades de l'évolution peuvent être ramenés à trois, et correspondent aux trois âges de la vie humaine : l'enfance, l'adolescence et l'âge mûr. Là où il s'agit de l'homme, nous retrouvons la trace de ces stades dans l'unité humaine ou dans la race et, au fur et à mesure que les civilisations se développeront, il deviendra sûrement possible de retrouver la même triple idée dans la famille humaine, prise dans son ensemble, ce qui permettra d'affirmer l'existence de l'objectif divin, par l'étude de Son image, ou reflet, qui est l'HOMME.
Nous pourrions exprimer ces trois stades en termes plus scientifiques, et les rattacher aux trois écoles de pensée mentionnées plus haut, en les étudiant sous la forme suivante :
a. Le stade de l'énergie atomique.
b. Le stade de la cohérence du groupe.
c. Le stade de l'existence unifiée, ou synthétique.
Voyons si je puis vous rendre clairement ma pensée. Le stade de l'énergie atomique est celui qui concerne le côté matériel de la vie ; il correspond à la période de l'enfance, dans la vie d'un homme ou d'une race. C'est l'époque du réalisme et de l'activité intense, du développement obtenu avant tout par l'action, et de l'intérêt entièrement centré sur soi-même. Cette phase engendre le point de vue matérialiste et mène inévitablement à l'égoïsme. Elle considère l'atome comme totalement contenu en lui-même et, de même, elle voit dans l'être humain une entité séparée n'ayant aucune espèce de relation avec les autres. Ce stade se manifeste dans les races peu évoluées, dans les enfants en bas âge et chez les individus peu développés. Ils sont normalement centrés sur eux-mêmes ; leurs énergies ne s'intéressent qu'à leur propre vie ; ils ne se préoccupent que de ce qui est objectif et tangible et sont caractérisés par un égoïsme nécessaire qui leur sert de protection. C'est un stade indispensable au développement et à la perpétuation de la race.
A cette période égoïste et atomique succède bientôt une seconde phase : celle de la cohérence du groupe. Celle-ci comporte la construction de formes et d'espèces et aboutit à la création de groupements cohérents, formant eux-mêmes un tout, bien que composés d'un grand nombre d'individualités et de formes. Cette phase correspond à l'éveil du sens de la responsabilité chez l'être humain et à sa reconnaissance de la place qu'il occupe au sein du groupe. Elle nécessite, chez l'homme, la capacité de concevoir une vie plus grande que la sienne, soit qu'il l'appelle Dieu, soit qu'il la considère simplement comme la vie du groupe à laquelle il appartient en tant qu'unité, cette grande Identité dont nous formons une partie. Cette phase correspond à l'école de pensée que nous appelions surnaturaliste et, avec le temps, une conception plus vraie et plus large devra lui succéder. Comme nous l'avons déjà vu, le premier stade atomique se développe par le moyen de l'égoïsme ; c'est le moment où la vie de l'atome est centrée sur lui-même (qu'il s'agisse d'un atome matériel ou d'un atome humain) ; le second stade accède à la perfection par le sacrifice de l'unité au bien de la collectivité, et de l'atome au groupe où il a pris place. Jusqu'ici nous savons encore peu de choses de ce stade ; il représente un état dont nous avons la vision et dont nous attendons la venue.
Le troisième stade est encore plongé dans un avenir lointain et peut être considéré par beaucoup comme une pure chimère. Mais certains d'entre nous en ont une vision qui, même irréalisable à présent, n'en est pas moins accessible, si nos prémisses sont correctes et nos fondations bien posées. C'est celle de l'existence unifiée. Il n'y aura pas seulement des unités de conscience séparées ; il n'y aura pas seulement des atomes différenciés à l'intérieur de la forme, il n'y aura pas seulement le groupe composé d'une foule d'identités, mais nous aurons l'agrégation de toutes les formes, de tous les groupes et de tous les états de conscience, fondus, unifiés et synthétisés en un tout parfait. Ce tout, vous pouvez l'appeler le système solaire, vous pouvez l'appeler la nature, vous pouvez l'appeler Dieu. Les noms importent peu. Il correspond à l'âge adulte chez l'homme ; il est analogue à cette période de maturité et à cette époque dans la vie d'un homme où il est censé avoir un dessein arrêté et un travail défini, ainsi qu'un plan de vie clairement tracé qu'il s'efforce de réaliser avec l'aide de son intelligence. Au cours de ces entretiens, je voudrais montrer, si je le puis, que quelque chose de semblable se passe dans le système solaire, dans la planète, dans la famille humaine et dans l'atome. Je pense pouvoir prouver qu'il existe une intelligence sous-jacente à tout ; et que de la séparation viendra l'union, obtenue par la fusion et l'amalgame des entités isolées, c'est-à-dire par la formation des groupes, et que plus tard, de tous ces groupes, émergera le tout unique, parfait et pleinement conscient, composé d'une myriade d'entités séparées, animées par un seul dessein et une seule volonté. S'il en est ainsi, quelle est la prochaine étape que doivent accomplir ceux qui comprennent ces choses ? Comment appliquer pratiquement cet idéal à nos propres vies et fixer notre devoir immédiat, de sorte que nous puissions participer au plan et favoriser consciemment sa réalisation ? Nous avons notre part minuscule à jouer dans le processus cosmique, et chaque jour devrait voir chacun d'entre nous en train de l'accomplir avec une intelligente compréhension.
Notre premier but devrait être, assurément, de nous réaliser nous-mêmes par l'usage de la discrimination ; nous devons apprendre à penser clairement par nous-mêmes, à formuler nos propres idées et à devenir maîtres de nos processus mentaux ; nous devons apprendre à savoir ce que nous pensons et pourquoi nous le pensons, afin de découvrir le sens de la conscience du groupe, à travers l'étude de la loi du sacrifice. Non seulement nous devons nous trouver nous-mêmes à travers le stade enfantin de l'égoïsme (et sûrement nous avons déjà dépassé ce stade), non seulement nous devons apprendre à distinguer le réel de l'irréel, par l'usage de la discrimination, mais nous devons, en outre, nous efforcer de passer de ce stade à un niveau plus élevé. Pour nous, le but immédiat doit consister à découvrir le groupe auquel nous appartenons.
Nous ne faisons pas partie de tous les groupes et nous ne pouvons pas nous rendre clairement compte de notre place dans le grand Corps unique, mais nous pouvons trouver un groupe où nous ayons une place, un corps d'êtres avec lesquels nous puissions coopérer, un frère ou des frères que nous puissions secourir et assister.
Ceci exige déjà la vision consciente du contact et de la fraternité idéale et – jusqu'à ce que nous soyons suffisamment évolués pour atteindre le stade où notre concept deviendra universel – ceci veut dire qu'il nous faut trouver le groupe particulier de frères que nous puissions aimer et aider par le moyen de la loi du sacrifice et par la transmutation de l'égoïsme en service désintéressé.
Nous pourrons, par ce moyen, coopérer au plan général et participer consciemment à la mission du groupe.