L'INTERMEDE ENTRE LA GUERRE ET LA PAIX
Août 1942
Des milliers de personnes, ayant lu, dans le passé, les opuscules et articles que j'ai écrits, demandent avec insistance que je parle de la future période de réhabilitation et de ce que l'on peut faire, (alors que la guerre dure encore) pour se préparer à être utile dans l'avenir. Quand la guerre éclata, je publiais un article intitulé La crise mondiale actuelle, où j'essayai de remonter aux origines du conflit et de découvrir les facteurs qui rendirent cette catastrophe possible.
Plus tard, un autre article parut, intitulé : L'ordre mondial à venir, qui cherchait à présenter au monde souffrant la vision d'un avenir matériel et spirituel que le coeur des hommes réclame depuis longtemps. Ainsi, une tentative fut faite de traiter du passé et de l'avenir.
A cette époque-là, on ne pouvait faire plus, vu la désunion existant parmi les nations qui, aujourd'hui, forment les Nations Unies. Il y avait aussi un manque de compréhension et une perspective égoïste parmi les nations qui étaient neutres à ce moment-là. Par-dessus tout, il y avait le fait que les questions impliquées devaient être réglées par l'humanité elle-même et qu'il n'était pas possible de prédire, avec quelque exactitude, ce que l'humanité allait faire. Même les hommes les plus éclairés et les guides spirituels de la race ne pouvaient préjuger de la ligne d'action que les hommes adopteraient, ou savoir s'il y avait dans le monde assez de gens voyant clair, pour pouvoir et vouloir entraîner la masse des hommes dans une opposition efficace aux puissances de l'Axe. La question était : Est-ce que la peur du monde et l'égoïsme universel domineraient, ou est-ce que l'esprit de liberté et l'amour de la liberté seraient assez forts pour souder les nations libres en un tout uni et inébranlable ?
Aujourd'hui l'issue est claire et inévitable. Les nations libres et les petites nations défaites et réduites en esclavage sont pratiquement et subjectivement unifiées en une détermination spirituelle intense de gagner la guerre. Le destin des Nations de l'Axe est donc inaltérablement réglé, même si, au moment où j'écris, elles semblent victorieuses sur toute la ligne. Seul le moment de la victoire finale du droit contre la force reste encore un facteur d'incertitude ; ceci, à cause des forces énormes préparées par les pays agresseurs et du manque de préparation des démocraties. On est en voie de porter rapidement remède à ce manque de préparation.
Dans cet article, je m'efforcerai d'indiquer les problèmes et peut-être quelques-unes des solutions qui, inévitablement, vont remplir l'intervalle entre la fin de la guerre et le futur ordre mondial. Il faudra traiter ce sujet de manière générale, car il est trop vaste pour que nous puissions être précis avec intelligence. Nous pouvons, néanmoins, envisager le travail immédiat à faire en vue de la cessation des hostilités et indiquer les premières mesures qui peuvent et doivent être prises pour instaurer de saines méthodes de reconstruction. La période de reconstruction et de réhabilitation devrait être aujourd'hui le souci profond de tous ceux qui aiment leurs semblables.
Certains considèrent l'étude de la future période de reconstruction comme prématurée. Ils pensent, et avec justesse, que notre souci immédiat est de gagner la guerre, ce que j'approuve complètement. Cette volonté-de-victoire est le premier facteur fondamental, car il n'y aura pas de vraie activité de reconstruction si les nations de l'Axe triomphent. Mais il y a beaucoup de personnes actuellement dont la tâche n'est pas de se battre et dont la place et la fonction se situent forcément dans les aspects civils de la vie des nations.
Ceux-là peuvent penser, parler et travailler à préparer l'avenir. D'autres penseront que seuls des experts entraînés dans le domaine de la réadaptation économique et politique peuvent aborder ce difficile problème avec quelque espoir d'apporter une contribution utile. D'autres encore penseront que la paix est la seule chose importante et qu'elle devrait être suivie dans tous les pays, par une longue période de calme mental. Ils pensent que partout les gens sont trop épuisés et malheureux pour être déjà prêts à entreprendre une tâche de reconstruction. D'autres encore sont si totalement pessimistes qu'ils désespèrent de jamais récupérer le monde ; ils s'attendent, dans la tristesse, à l'effondrement de tous les modes de vie civilisés. Il y a une certaine vérité dans chacun de ces points de vue. On aura grand besoin du travail des experts, mais seuls l'intérêt
compréhensif et le pouvoir de soutien, fournis par ceux dont le coeur est enflammé d'amour, peuvent rendre leur travail possible. On n'aura pas uniquement besoin des activités institutionnalisées des entreprises financières de travailleurs dans le domaine économique et social, et des agents des gouvernements, mais, par-dessus tout, la solution doit venir de la montée de la bonne volonté dans le coeur des hommes. C'est ce qui fournira l'encouragement juste et compatissant. Bien sûr, on pourrait réhabiliter le monde à des fins purement commerciales et égoïstes, compte tenu de ce que les échanges commerciaux, la capacité d'acheter et de vendre, le rétablissement de la stabilité financière sont des facteurs importants de la restauration mondiale.
Mais ce ne sont pas les motifs fondamentaux qui rétabliront pour l'humanité une vie de sécurité et de respect de soi. Ces facteurs fourniront un puissant mobile pour de nombreux individus et groupements, mais non le motif pouvant engendrer la vraie restauration constructive de la trame de la vie humaine.
Le travail de reconstruction incombera aux hommes et femmes intelligentes et de bonne volonté ; leur tâche sera d'établir pour l'humanité une vie nouvelle et un bonheur nouveau ; c'est pour eux que j'écris. Je vous en prie, gardez ceci à la pensée. Je n'écris pas pour des experts techniciens ou pour des conseillers de gouvernement compétents, mais pour ceux dont le coeur est plein de bonne volonté envers tous les hommes, et qui, de ce fait, veulent faire leur part pour apporter au monde la tranquillité et la paix, une paix fondée sur des valeurs plus sûres que dans le passé et sur des plans plus sains. En dernière analyse, ce n'est pas pour la paix que travaillent les hommes de bonne volonté, mais pour le développement de l'esprit de compréhension et de coopération, qui seuls seront assez forts pour faire tomber les barrières raciales, guérir les plaies de la guerre et construire une structure mondiale nouvelle, répondant aux exigences intelligentes des masses.
Dans mes opuscules précédents j'ai cherché (comme d'autres penseurs) à indiquer les mesures à prendre pour éviter le cataclysme imminent. Parmi les plus importantes sur lesquelles j'ai mis l'accent, se trouvait le développement de la bonne volonté mondiale, car la bonne volonté est le principe actif de la paix. J'ai aussi cherché à insister sur une compréhension internationale, un avenir de partage des ressources de la planète, la reconnaissance d'une culpabilité générale, prouvée par l'histoire, en ce qui concerne la guerre, ainsi que sur des idées qui – si on les développait – mettraient fin à l'ère de séparation.
En dépit de tous les efforts des hommes de bonne volonté, de toutes les organisations de paix, du travail éclairé des penseurs mondiaux, des éducateurs et des gouvernants, deux choses se produisirent que l'on avait espéré éviter. La première fut une précipitation très nette et focalisée de l'esprit du mal et du matérialisme, par le moyen des nations de l'Axe, utilisant l'agression japonaise comme point focal initial, et s'exprimant plus tard avec toute sa force par le canal de l'Allemagne. La deuxième, c'est que les nations neutres, dans les premiers stades de la guerre, n'ont pas pris les mesures nécessaires pour s'allier activement aux nations combattant le totalitarisme et ont été incapables de comprendre toute l'horreur de la situation qui attendait l'humanité. L'égoïsme de l'humanité était encore plus profondément enraciné qu'on ne l'avait pensé ; les Nations Unies n'en vinrent à une coopération active qu'après deux ans de guerre et la violation organisée de plusieurs nations neutres. L'aveuglement des nations neutres a nettement faussé les calculs des personnes prévoyantes qui travaillaient pour le bien du monde, et sérieusement retardé la fin de la guerre.
Le point critique est maintenant dépassé ; la compréhension humanitaire des questions posées et l'unité existant entre les Nations Alliées garantissent la défaite inévitable des Puissances de l'Axe. D'autres facteurs assurent aussi la victoire finale des forces du droit et la liberté du monde. Je n'ai pas le temps de les développer, mais ils peuvent être énumérés afin que l'on voie à quel point
ils assurent et garantissent le triomphe des peuples libres. Ces facteurs sont :
1. La volonté-de-victoire qui grandit régulièrement. L'apaisement, le pacifisme et l'incertitude sont nettement en voie de disparition.
2. Le sort de l'humanité, en tous lieux, résultant de l'agression de l'Axe, raffermit nettement l'opinion publique ; il suscite la détermination inaltérable de mettre fin au mal instauré et poursuivi par l'Allemagne et le Japon, aidés un peu à contrecoeur par l'Italie.
3. Les ressources des Nations Unies sont vastes et maintenant en voie de mobilisation. Leur emploi est massif et le potentiel de fabrication est pratiquement inépuisable et s'organise rapidement. Les forces en hommes et les ressources de l'Allemagne et de ses alliés ont atteint leur point culminant, leur donnant actuellement une énorme puissance, mais un déclin constant s'annonce pour l'avenir.
4. L'aboutissement possible de cette guerre est compris de plus en plus clairement ; même celui qui est ignorant ou partial s'aperçoit aujourd'hui que les résultats possibles s'insèrent dans trois positions majeures, ce qui lui permet de choisir personnellement où ira son loyalisme.
a. La position démocratique, avec son accent sur les Quatre Libertés et la Charte de l'Atlantique, assurant des relations humaines justes et la fin de l'agression.
b. La position totalitaire, avec son accent sur la dictature mondiale, l'esclavage des nombreuses nations conquises, sa partialité raciale, sa cruauté et son terrorisme flagrants.
c. L'apaisement et les attitudes pacifistes-idéalistes et sans caractère pratique, dont le point focal est aujourd'hui l'attitude de Gandhi. Il met en évidence l'attitude fanatique, intransigeante, non-réaliste, qui est prête à sacrifier des vies, des nations et l'avenir de l'humanité pour atteindre son but. Si Gandhi parvenait à ses objectifs maintenant, cela précipiterait la guerre civile en Inde, sacrifierait tout espoir immédiat de liberté pour ce pays, permettrait aux Japonais de réaliser une facile conquête de l'Inde, entraînerait le massacre de plusieurs centaines de milliers de personnes et permettrait à l'Allemagne de rejoindre le Japon, par l'Asie, avec l'effroyable possibilité d'une victoire totalitaire.
Ces trois points de vue sont maintenant clairement compris partout par les hommes et leur décision quant à leur loyalisme et leur adhésion est clarifiée.
5. L'esprit de liberté triomphe en tous pays (même dans les pays conquis, au grand étonnement des Allemands), et la beauté de l'esprit humain se fait jour partout, dans les pays conquis comme
dans les nations combattant, le dos au mur, pour la liberté humaine.
6. Un intense intérêt pour les conditions d'après-guerre se manifeste dans ce que disent les gouvernants, les politiciens, les conférenciers et les personnes spirituelles en tous lieux ; les articles, brochures, livres, conférences et plans traitant du nouvel ordre mondial en témoignent.
Les forces de réhabilitation et de bonne volonté se mobilisent rapidement ; elles constituent une grande armée au sein de toutes les nations, armée invisible qui est encore rudimentaire, incertaine quant à ses méthodes, mais dont les buts et principes sont clairs.
Les six facteurs ci-dessus assurent la défaite des forces du mal et le triomphe des Forces de Lumière ; ceci étant une base d'optimisme, nous pouvons regarder en avant avec l'espoir certain de la fin de la guerre, de la démobilisation des armées, de la navigation paisible sur les sept mers et du jour où la peur commencera à disparaître.
Quels seront alors les dangers qu'il faudra éviter ? A quoi devrons-nous être préparés lorsqu'il faudra faire face à la tâche de reconstruction ? Il pourrait être utile d'énumérer quelques-uns des dangers auxquels nous devons être préparés. Examinons-les dans l'ordre de leur importance :
1. Le danger d'un règlement de paix trop rapide. Travaillons laborieusement pour obtenir un armistice prolongé, pendant lequel la chaleur de la bataille et les feux de la vengeance auront le temps de s'éteindre, l'angoisse de l'humanité de s'apaiser et où on aura le temps de faire des projets dans le calme et sans précipitation.
2. Le danger d'un retour à la prétendue normalité. Le principal désastre qui menace l'humanité actuellement serait un retour à l'état de choses précédant l'ouverture des hostilités et le rétablissement du vieux monde familier, avec son impérialisme (d'empire ou de finance) ses viles distinctions et barrières séparatives entre riches et pauvres, entre Orientaux et Occidentaux, entre castes et classes, qui existent dans tous les pays – sans exception.
3. Les dangers résultants des nécessaires réajustements entre nations.
Tout réajustement effectué sur la base de la tradition historique ou des anciennes frontières ne servira qu'à plonger le monde à nouveau dans la guerre. Ces réajustements doivent être accomplis sur la base de l'humanité elle-même ; la volonté de peuples libres doit être le facteur déterminant et non la volonté d'experts techniques ou politiques, de quelque classe gouvernante ou groupe. Dans le monde de demain l'équation humaine prendra une place dominante ; les êtres humains détermineront dans la mesure où ils le peuvent leur propre destin et les hommes exerceront leur libre arbitre pour établir le genre de monde où ils souhaitent vivre. Ils décideront à quel pays ils préfèrent appartenir en tant que citoyens et le type de gouvernement auquel ils désirent obéir. Cela prendra naturellement du temps et doit être un lent processus. Une éducation planifiée des masses sera nécessaire en tous pays ; les principes de liberté et la distinction entre liberté et licence devront être enseignés avec soin. Un monde nouveau, basé sur le rétablissement des limites territoriales, déterminées par l'histoire, ne mettra pas fin à la lutte, à l'agression ou à la peur. Un monde nouveau, basé sur des valeurs humaines et sur de justes relations humaines, pourra instaurer, lentement, bien sûr, mais inévitablement la nouvelle civilisation que les hommes de bonne volonté réclament pour l'humanité tout entière.
4. Les dangers venant de la haine, de la vengeance et de la douleur. Ces dangers seront les plus difficiles à éviter. La haine profonde du régime nazi et de la nation allemande qui l'approuve grandit sans cesse. Ceci est presque inévitable, car basé sur les faits de l'activité nazie. La tâche des Nations Unies après la guerre sera nécessairement – entre autres choses – de protéger les Allemands contre la haine de ceux qu'ils ont si effroyablement maltraités. Ceci ne sera pas chose facile. Le châtiment et la vengeance ne devront pas être permis ; cependant, dans le même temps, un juste paiement des actions mauvaises ne pourra pas et ne devra pas être évité. La loi s'applique toujours ; elle affirme que quoi que l'homme ou la nation aient semé, ils doivent aussi le récolter. L'Allemagne a lancé des idées néfastes dans tout le monde civilisé et pendant quelque temps son sort doit être dur ; elle devra payer ses mauvaises actions en sueur, en labeur et en pleurs.
Mais ce paiement devrait faire partie du grand travail de réhabilitation et non d'exigences vengeresses ; si l'on garde ceci à l'esprit, aucune sérieuse erreur ne sera commise. Les Allemands devront travailler vigoureusement pour redresser le mal qu'ils ont fait, dans la mesure où ils le peuvent, mais la génération suivante – actuellement au berceau ou à l'école – ne doit pas être pénalisée. Les petits enfants et les bébés de la race allemande – innocents des mauvaises actions de leurs pères et de leurs frères – ne doivent pas être impliqués dans les pénalités exigées. Les jeunes d'aujourd'hui en Allemagne doivent, par le labeur de leurs mains et la sueur de leur front, reconstruire ce qu'ils ont si impitoyablement détruit, mais les personnes âgées, inoffensives et
faibles, les petits enfants et les adolescents, garçons et filles, devront être exemptés de toute pénalisation ; ils devront être instruits en vue de devenir les citoyens d'une Allemagne meilleure et plus belle qu'elle ne l'a jamais été – une Allemagne qui soit une partie constructive du tout, non une menace ou la terreur pour tous les hommes qui pensent juste. L'éveil des hommes de bonne volonté dans toutes les nations, hommes qui envisagent l'humanité comme un tout, et tous les hommes comme des frères, est le seul moyen d'endiguer la marée montante de la haine. On ne l'endiguera pas en disant à ceux qui ont souffert du fait des nations de l'Axe de ne pas haïr, ni en exhortant les gens qui ont été victimes des traîtres, qu'ils ne doivent pas en vouloir à des gens comme Quisling ou Laval. On la compensera par une grande démonstration d'amour pratique et de compréhension de la part des Nations Unies ; amour qui se présentera sous forme de nourriture pour les affamés, de soins pour les malades, par la reconstruction des villes démolies et la restauration de la "terre brûlée". Ces problèmes de haine et de vengeance exigeront la plus grande habileté ; ils demanderont un mode d'action extrêmement sage de la part des nations libres.
5. Le danger, pour l'humanité, des effets de la guerre sur les enfants de toutes les nations. Les enfants d'aujourd'hui sont les parents des générations à venir ; ils sont passés par une expérience psychologique délabrante. Ils ne peuvent redevenir un jour complètement normaux.
Ils ont vu le maximum de la cruauté, de la perversité, de la douleur, de l'horreur, de la terreur et de l'incertitude. Ils ont subi le choc des bombardements. Ils n'ont connu aucune sécurité. Des millions d'entre eux n'ont pas connu l'autorité parentale ; ils ont été séparés de leur famille par la guerre, et, fréquemment, ils ne connaissent même pas leur nom. Même si l'unité familiale est demeurée intacte, leur père est souvent engagé dans un travail pour la guerre dans son pays ou à l'étranger, et leur mère travaille la terre ou en usine ; les enfants n'ont donc pas de vie ou de surveillance familiale. La malnutrition leur a enlevé la force vitale et le mal généralisé a miné leur moral et leur échelle de valeurs. Du point de vue humanitaire et spirituel, le problème vital, après la guerre, sera de rétablir pour les enfants du monde entier le bonheur, la sécurité, des modes de vie et de conduite corrects et une certaine mesure de discipline compréhensive. Ceci est essentiellement un problème d'éducation. En tous pays, les éducateurs et les psychologues doués de vision doivent être mobilisés afin de déterminer intelligemment, pour les enfants, un "canevas des choses à venir" Ceci devra se faire à l'échelle internationale et avec la sagesse découlant d'une perception de la nécessité immédiate et d'une vision à longue portée.
6. Les dangers d'une renaissance de l'esprit nationaliste. Le nationalisme intense a été l'un des facteurs déterminants de l'apparition de cette guerre ; aucune nation n'a échappé à cet esprit d'orgueil national, ou à ce point de vue séparatiste et national. Des intérêts égoïstes ont dominé les raisons pour lesquelles chaque nation a pris part à la guerre ; la sécurité individuelle a poussé même les nations démocratiques les moins éclairées à y participer. Qu'à cet aiguillon égoïste elles aient ajouté la nécessité mondiale, l'amour de la liberté, est vrai ; cela compense mais ne fait pas disparaître les motifs égoïstes. Que l'instinct de conservation ne leur ait pas laissé d'autre possibilité est vrai aussi, mais il n'en reste pas moins qu'il n y aurait pas eu de guerre si les nations démocratiques avaient été le facteur déterminant. En soi, ceci pose des questions. Pourquoi, en dernière analyse, les puissantes démocraties ont-elles permis cette guerre, alors qu'unies et alliées dès le début elles auraient pu l'arrêter dans les stades initiaux ? De plus, étant donné l'existence des nations agressives, l'intérêt personnel leur imposa collectivement le combat ; cependant, ce même intérêt personnel aurait dû leur faire prendre des mesures qui auraient garanti la paix. Les types nationaux, les intérêts nationaux individuels, les cultures et civilisations nationales, existent côte à côte, mais au lieu d'être considérés comme contribuant à un tout intégré, ils ont été compétitifs avec zèle, et envisagés comme la prérogative particulière de telle ou telle nation, existant uniquement pour le bien de cette nation. A l'avenir, dans la vie, le facteur de contribution devra être accentué et développé ; l'avantage de l'entière famille des nations devra se substituer à l'avantage d'une nation ou d'un groupe de nations. L'éducation du public en vue de cet idéal n'impose nullement la perte de l'identité nationale ou de la culture individuelle. Celles-ci doivent demeurer et être développées jusqu'à leur but spirituel le plus élevé, afin d'enrichir, pour tous, le bien collectif. Seul le motif qui met l'accent sur telle culture spécifique, nationale ou raciale, devra changer.
La famille des nations, considérée comme unité, avec ses interrelations adéquates et la prise de responsabilités pour l'ensemble unique, ou pour les faibles, doit être le but conscient de toute entreprise nationale. Les ressources de la planète tout entière doivent être partagées collectivement ; il faut que l'on comprenne de mieux en mieux que les produits de la terre, les dons du sol, l'héritage intellectuel des nations, appartiennent à l'humanité dans son ensemble et non exclusivement à une nation. Aucune nation ne peut vivre seule, pas plus qu'un individu ne pourrait vivre seul et heureux ; la nation ou l'individu qui ferait cette tentative disparaîtrait inévitablement de la surface de la terre. Toutes les nations ont fait cette tentative égoïste, comme le prouve l'histoire moderne et ancienne. Leur tradition, leurs ressources, leur génie national, leur histoire passée, leurs produits agricoles et minéraux, leur position stratégique sur la planète ont été utilisés, au cours des siècles, au bénéfice de la nation qui les revendiquait. Cela a été exploité pour accroître le pouvoir de cette nation aux dépens de la souffrance des autres. C'est le péché que commet aujourd'hui l'Allemagne, aidée par le Japon, et suivie faiblement par l'Italie. La politique de pouvoir, l'exploitation des faibles, l'agression, l'égoïsme économique, les idéaux basés sur des buts purement commerciaux, matérialistes et territoriaux, caractérisent toute l'histoire de l'humanité dans les deux hémisphères ; ils sont à la base de la guerre actuelle.
Certaines nations, en particulier les grandes démocraties comme le Commonwealth britannique et les Etats-Unis d'Amérique, comprennent maintenant que ces attitudes et activités doivent prendre fin, que l'espoir du monde réside dans le développement de relations humaines justes, d'échanges économiques, d'une politique internationale large et sans égoïsme, dans l'accroissement de l'esprit de coopération. Ils croient inaltérablement, comme politique nationale de base, aux droits de l'individu et à l'existence de l'Etat au bénéfice de cet individu ; à cela ils ajoutent la croyance que cet Etat existe au bénéfice de tous les autres Etats et pour l'humanité dans son ensemble. D'autres nations, telles les Puissances de l'Axe, cristallisent violemment les points de vue anciens, et accaparent agressivement tout ce qu'elles peuvent pour ellesmêmes.
Elles considèrent l'individu comme sans valeur, existant au seul bénéfice de l'Etat, elles croient que l'Etat est la seule unité importante. Elles divisent la famille des nations en un super-état dominant l'Europe et un autre super-état pour l'Asie ; elles considèrent les autres Etats comme des nationsesclaves ; elles perpétueraient l'ancien mal de la force et de la guerre et auraient recours (c'est d'ailleurs ce qu'elles font) à des cruautés inouïes afin d'élever leur Etat à l'éminence suprême.
Ceci est l'ordre ancien qui doit disparaître. Les Nations Unies se battent pour l'abolir, mais les difficultés sont nombreuses même si la force spirituelle de tous les hommes de bien est à leurs côtés et si les Forces de Lumière luttent pour les aider. L'esprit nationaliste n'est mort dans aucun pays. Il faut l'aider à mourir. Les minorités ayant un passé historique, mais pas de droits territoriaux, réclament une terre à eux où construire une nation. Les petites nations sont pleines de craintes, se demandant quelle place on leur permettra d'occuper dans la famille des nations, et si les plans néfastes des Allemands épargneront assez de leurs citoyens pour former un jour une nation. La demande de reconnaissance nationale s'étend de tous côtés ; l'accent mis sur l'humanité en tant qu'unité importante ne se fait guère entendre.
Ces nations bloquent le sentier du progrès en vivant dans le souvenir de leur histoire et de leurs frontières passées, en regardant en arrière vers ce qu'elles appellent un "glorieux passé", en s'appuyant sur la mémoire de la domination nationaliste ou impérialiste des faibles. Il est sévère de le dire, mais l'esprit nationaliste constitue un grave péril pour le monde ; s'il se perpétue, sous quelque forme que ce soit, excepté en tant que contribuant au bien de l'humanité tout entière, il replongera le monde (après la guerre) dans une ère de ténèbres et laissera les hommes pas plus avancés qu'ils ne l'étaient, malgré vingt ans de douleur et d'angoisse. Nous pourrions prendre les nations une à une et observer comment cet esprit nationaliste, séparatiste ou isolationniste, conséquence d'un passé historique, de complexes raciaux, de position territoriale, de révolte et de possession de ressources matérielles, a engendré la crise mondiale actuelle, le clivage actuel et ce conflit général d'intérêts et d'idéaux. Mais ce ne serait d'aucun profit. L'étudiant intelligent de l'histoire qui n'a pas de partialité nationaliste connaît bien les faits ; il se préoccupe profondément de la nécessité de faire jouer le poids de méthodes aptes à mettre fin à la lutte mondiale. Il sait que les efforts faits par les nations pour atteindre l'expansion territoriale, une place au soleil, le Lebensraum, la suprématie financière, la domination économique et le pouvoir doivent prendre fin. En même temps, il comprend que si l'humanité doit se débarrasser de ces produits fâcheux de l'égoïsme, certaines valeurs fondamentales doivent être conservées. Les cultures et les civilisations du passé ont une grande valeur ; le génie particulier de chaque nation doit être appelé à enrichir la famille humaine tout entière ; la nouvelle civilisation doit plonger ses racines dans le passé et en surgir ; de nouveaux idéaux doivent apparaître et être reconnus et les hommes y auront été préparés par les événements et l'éducation du passé. L'humanité elle-même doit être le but de tout effort et de tout intérêt et non quelque nation ou empire particulier. Tout ceci doit être mis en oeuvre de manière pratique et réaliste, dissociée des rêves visionnaires, mystiques ou utopiques ; toute action doit être basée sur la reconnaissance fondamentale de la fraternité humaine, s'exprimant par des relations humaines justes.
La révolte si générale contre les "visions vagues" des rêveurs humanitaires est basée sur le fait que, du fatras des mots et de la pléthore des plans, il n'est rien sorti qui ait une valeur pratique, ni rien d'assez puissant pour mettre fin aux modes de vie anciens et abominables. On a essayé des mesures palliatives ; on a fait des compromis pour la paix, mais les maux fondamentaux, ambition nationale, disparité économique, distinctions de classe virulentes (héréditaires ou financières) demeuraient toujours. Les différends religieux étaient déchaînés, la haine de race généralisée, l'ordre économique et politique demeurait corrompu, entretenant les luttes partisanes, sociales et nationales.
Aujourd'hui la guerre a clarifié l'atmosphère. Les questions posées sont claires et du moins nous savons ce qu'il y a eu de mauvais. En faisant la preuve d'un égoïsme suprême, d'ambition nationale, de haine de race, de barbarie et de cruauté totale, ainsi que d'une absence complète de sentiment humanitaire, les Puissances de l'Axe ont rendu service à l'humanité, en montrant ce qui ne doit pas être permis et ne le sera pas. Les démocraties se sont aussi aperçues de leurs faiblesses ; elles ont compris que la vraie démocratie n'existe pas encore, vu la corruption politique très étendue et vu l'ignorance et le manque de préparation des masses au véritable gouvernement par soi-même.
Des puissances impérialistes, telles la Grande-Bretagne, répudient publiquement les anciens points de vue et vont de l'avant dans la tâche de reconstruction mondiale. Le conservateur réactionnaire n'est plus populaire.
Les petites nations comprennent leur impuissance et leur dépendance complète vis-à-vis de leurs voisins plus grands ; ces derniers, à leur tour, reconnaissent leurs responsabilités envers les faibles et les petits. Partout, les gens s'éveillent et commencent à penser ; ils ne pourront plus jamais se replonger dans la condition négative du passé. On a foi de tous côtés en la possibilité d'un monde nouveau et meilleur et on le croit même probable.
Comment exprimer, simplement et clairement, le but de ce nouvel ordre mondial tant espéré ; comment formuler brièvement l'objectif que chaque personne et chaque nation devront garder devant les yeux, quand la guerre cessera et que l'occasion d'agir s'offrira à chacun de nous ? C'est, à coup sûr, que chaque nation, grande ou petite (les minorités obtenant des droits égaux et proportionnés) doit poursuivre sa propre culture individuelle et réaliser son propre salut, selon la voie qui lui semble être la meilleure, mais que toutes comprennent de plus en plus qu'elles sont les parties organiques d'un tout formant corps ; qu'elles doivent faire don à cet ensemble de tout ce qu'elles possèdent et de tout ce qu'elles sont. Ce concept est déjà présent dans le coeur de millions de personnes et comporte une grande responsabilité. Ces prises de conscience, lorsqu'elles seront intelligemment développées et sagement manipulées, conduiront à de justes relations humaines, à la stabilité économique (basée sur l'esprit de partage), et à une nouvelle orientation de l'homme envers l'homme, de nation envers nation, de tous envers ce pouvoir suprême que nous appelons "Dieu".
Voilà la vision ; elle maintient bien des milliers de personnes fermement sur le sentier du devoir ; pour elle, dans chaque nation, beaucoup de gens sont prêts à travailler. En dépit de la toile de fond d'un passé de mal, en dépit du carnage mondial actuel, en dépit des problèmes psychologiques presque insurmontables qui confrontent l'humanité, en dépit des machinations politiques et de la diplomatie de l'ancien temps, en dépit de l'improbabilité d'un succès rapide, il existe des milliers de personnes prêtes à commencer le travail préparatoire. Le nombre d'hommes et de femmes de vision et de bonne volonté est maintenant si grand (spécialement parmi les Nations Unies) qu'il existe une chance de réussite finale, et qu'il est possible aujourd'hui de démarrer. On peut déjà apercevoir vaguement les contours de la future structure mondiale ; l'échec complet, évident et irrémédiable de l'ordre ancien et de l'ancien monde est partout reconnu. La volonté-de-bien s'accroît. L'une des choses intéressantes qu'il est utile de reconnaître, c'est que cette vision apparaît plus clairement à l'homme de la rue et à l'intelligentsia, qu'aux classes exclusives. Par les difficultés matérielles de la vie et par les processus de pensée en résultant, l'homme sait que des conditions différentes sont nécessaires et qu'il n'y a pas d'autre possibilité.
La tâche de l'avenir tombe dans deux catégories : Premièrement, diriger la pensée et l'énergie de masse vers des voies justes, afin que le motif juste et l'action sage puissent instaurer l'ère désirée de relations humaines justes et de paix finale. Deuxièmement, éduquer ceux dont l'apathie et le manque de vision entravent le progrès. Cette dernière phase du travail est déjà bien engagée, car un groupe de guides mondiaux, puissant, bien que numériquement faible, énonce certaines propositions générales qui devront être considérées comme impératives lorsque viendra l'heure des réajustements mondiaux. Ce groupe réclame un nouveau principe directeur en politique et pour l'éducation, fondé sur la reconnaissance universelle des droits humains, sur la nécessité d'unité spirituelle, et sur la nécessité de jeter par-dessus bord toute attitude théologique séparative ou tout dogme dans tous les domaines de la pensée. Un appel s'élève, non seulement pour la compréhension et la coopération internationales, mais aussi pour la compréhension entre classes. Ces exigences sont exprimées à partir de toutes les estrades, de toutes les chaires et par la plume en tous pays, excepté dans ces tristes nations où la liberté de parole est interdite.
L'homme ordinaire observe tout ceci ; il est fréquemment accablé par l'immensité de la tâche qui se présente, par la diversité des opinions exprimées, par les nombreuses suggestions, les plans, les projets en vue d'un monde meilleur, par l'impression de sa totale insignifiance et de son impuissance en face de cette tâche humaine gigantesque. Il se pose beaucoup de questions.
Quelle est mon utilité ? Que puis-je faire ? Comment ma faible voix peut-elle être entendue et, si elle l'est, quelle en sera l'utilité ? Quel rôle puisje jouer dans la vaste arène des affaires humaines ? Comment puis-je me montrer utile et constructeur ? Comment puis-je compenser mon ignorance de l'histoire, de la société, des conditions politiques et économiques de mon propre pays, sans parler des autres ? L'humanité est si immense son nombre si considérable, ses races si nombreuses, qu'il a l'impression d'être une unité impuissante et insignifiante. Il n'a aucune instruction académique ou générale qui lui permettrait de saisir véritablement les problèmes ou de contribuer à leur solution. Que peut donc faire l'homme de la rue, l'homme d'affaires dans son
bureau, la femme à la maison, le citoyen moyen en tous lieux, pour contribuer, à présent et à l'avenir, à aider le monde ? C'est pour ce genre de personnes que j'écris.
Je vais commencer par rappeler au public un fait important. C'est qu'une opinion publique éclairée, déterminée, centralisée, est la force la plus puissante du monde. Elle n'a pas d'égale, mais est peu utilisée. La crédulité du citoyen moyen, son empressement à accepter ce qu'on lui dit, si on le dit assez haut et avec une force plausible suffisante, sont bien connus. Les phrases bien tournées du politicien entraîné, braqué sur ses desseins égoïstes, les arguments du démagogue à la langue dorée, exploitant quelque théorie favorite aux dépens du public, les rodomontades de l'homme qui a une cause, une théorie ou un intérêt personnel à faire valoir, tous sont facilement écoutés. La psychologie de masse et la détermination de la foule ont été exploitées au cours des siècles, car les émotifs, ceux qui ne pensent pas, sont facilement entraînés dans n'importe quelle direction ; jusqu'ici cela a été utilisé à leur propre avantage par des hommes qui n'avaient pas à coeur le meilleur intérêt de l'humanité. Cela a été utilisé à des fins égoïstes et mauvaises beaucoup plus souvent que pour le bien. De cette tendance négative et de cette attitude d'impuissance, le peuple allemand sous le régime nazi offre un exemple saisissant.
Mais cette réceptivité négative (qui ne mérite pas le nom d'opinion publique) peut aussi facilement être utilisée à des fins louables qu'à des fins mauvaises, à des mesures constructives plutôt que destructives. Un peu d'organisation dans la direction et un programme sagement défini en vue de cet objectif peuvent apporter et apporteront le changement nécessaire, et feront, d'une opinion publique saine et intelligente, l'un des facteurs majeurs de la reconstruction mondiale. Un des traits les plus intéressants de cette période de guerre a été le contact direct, instauré par certains dirigeants mondiaux avec l'homme de la rue et la femme au foyer, comme en témoignent les causeries de Roosevelt et de Churchill. Celles des dirigeants de l'Axe étaient d'une catégorie entièrement différente, car elles s'adressaient à la jeunesse masculine du pays et à l'homme en uniforme. En Allemagne, seuls les dirigeants de deuxième ordre parlent, par exemple, aux gens dans leur foyer ; c'est alors seulement pour leur donner des ordres, pour entretenir la haine et travestir la vérité. Dans tous ces cas, néanmoins, la valeur de l'opinion de la masse est reconnue, qu'il s'agisse de la plier à la volonté de quelque chef ; tel Hitler, ou de l'éduquer dans les principes qui sont à l'avantage de tous.
Le deuxième point que doit saisir le citoyen moyen, c'est que la masse est composée d'individus ; que chacun de nous, en tant qu'individu, est partie intégrante et précise du tout. Ceci est un fait important et fondamental et se rapporte à notre sujet. Le premier pas à faire dans le processus de reconstruction qui se présente à nous est d'atteindre l'individu, de lui montrer son importance, de lui indiquer sa très réelle sphère d'influence et de le mettre au travail dans cette sphère avec les moyens qu'il a. De cette manière, son sentiment normal et naturel de futilité disparaîtra ; il s'apercevra progressivement qu'on a besoin de lui et qu'il peut faire beaucoup. Ayant saisi ce fait pour lui-même, il peut alors essayer de susciter la même attitude constructive chez ceux qui sont autour de lui, et ces derniers feront de même.
Puis je faire remarquer ici que la valeur de l'individu est fondée, avec sûreté, sur la divinité inhérente de l'esprit humain et sur l'intégrité du tout. Elle est basée aussi sur la connaissance qui doit sous-tendre tout travail futur de reconstruction, qu'au coeur même de l'univers se trouve un Pouvoir divin, appelez-le comme vous voulez, et sur la foi que l'amour est véritablement la loi de la vie même, en dépit de toutes les apparences et les annales du passé.
Il est essentiel que nous soyons pratiques en abordant ce sujet.
Les projets de reconstruction comportent des mesures à la portée de l'homme moyen. La première attitude pratique est d'écraser et de se débarrasser de la haine, qui n'est pas constructive et constitue une entrave. Elle voile la vision et fausse le jugement ; elle nourrit simplement l'accroissement de la peur et de l'horreur. Mais l'amour qui nous est demandé n'est ni émotionnel, ni sentimental. Il est intensément pratique et s'exprime par le service et l'activité de coopération. Il cherche à aider tous les mouvements faits au bénéfice de l'humanité et dans la ligne de l'ère nouvelle. Beaucoup de gens pensent qu'une réaction émotionnelle et des vociférations d'horreur face à ce qui s'est abattu sur le monde, indiquent amour et sensibilité spirituelle. Il est bien plus probable que cela indique l'égoïsme et la gêne personnelle. L'amour véritable n'a pas de temps pour ces réactions, car le travail qui consiste à soulager absorbe totalement. L'homme qui aime ses semblables est équilibré mentalement et travaille intelligemment ; il mobilise toutes ses forces au service du moment.
Un coeur vraiment compatissant n'est pas émotif.
Notre seconde démarche est donc, après avoir reconnu la responsabilité personnelle, de remplacer l'émotion par l'amour pratique qui s'exprime en service altruiste. La troisième démarche sera de réorganiser notre vie afin d'avoir du temps pour ce service nécessaire. La plupart des gens ne tirent pas le maximum de résultats de leur vie journalière, et ceci pour différentes raisons.
Fréquemment ils ne désirent pas vraiment faire les sacrifices qu'exige un tel service, souvent ils vivent dans l'illusion que leur rendement actuel quant au service représente leur ultime possibilité ; ou encore ils s'imaginent que leur santé ne pourrait supporter un travail plus actif, qu'ils ont besoin de temps pour eux-mêmes, ou ils perdent des heures précieuses à faire des choses qui ne produisent aucun résultat réel. Si, néanmoins, la nécessité présente est aussi grande que nous le croyons, si c'est une heure exceptionnelle pour l'humanité, si les questions en jeu sont si importantes que l'avenir entier de la race dépende du dénouement de la guerre, alors la seule chose importante est que l'homme joue son rôle, qu'il mobilise son temps et tous ses moyens pour faire l'effort suprême qui libérera de la vie et de l'énergie, afin de rendre la victoire immédiatement possible, et l'ère de reconstruction, une réussite.
Cela, il doit l'accomplir à tout prix, même au prix de sa vie. Un paradoxe spirituel apparaît. L'individu est d'importance suprême et, cependant ce qui lui arrive lorsqu'il sert la liberté humaine ou lutte pour elle n'a pas la moindre importance individuelle. Une brève période d'effort organisé, puis, au bout, la mort, est d'utilité plus vitale aujourd'hui que l'accomplissement de choses futiles, que l'homme est enclin à faire en prenant tout son temps, suivi, au cours des années, d'un glissement faible et sans but.
Donc, le développement du sens de la responsabilité individuelle, l'expression d'amour véritable dans le service, et la réorganisation de la vie, afin d'en tirer chaque jour, le maximum, constituent le stade préparatoire pour l'homme qui cherche à participer à la période de reconstruction.
L'ayant accompli au mieux de ses capacités (beaucoup ont déjà bien commencé), il doit développer en lui-même et susciter chez les autres l'esprit de bonne volonté. Cette volonté-de-bien est immédiatement efficace, car elle gouverne les relations de l'homme avec sa famille et les personnes vivant à son foyer, avec ses associés, sur le plan des affaires et de la société, avec ses connaissances de hasard et tous ceux avec qui il peut entrer en contact. Cela lui permet d'entreprendre le travail de reconstruction là où il se trouve, et l'entraîne dans son environnement familier à pratiquer de justes relations humaines. C'est le facteur majeur et puissant permettant à l'individu, qui autrement serait impuissant, de devenir un point focal d'influence constructive. Il s'apercevra alors qu'il en résulte un élargissement constant de sa sphère d'influence.
Ce sont les quatre premières mesures à prendre, peut-être les plus difficiles, car elles ne sont pas spectaculaires et presque des platitudes Spirituelles. Mais ce sont les facteurs préliminaires essentiels et inévitables pour l'homme qui souhaite travailler avec sagesse, utilité et intuition dans
l'avenir.
A ce qui est énoncé plus haut, il peut alors ajouter les efforts suivants et tenter de s'imposer le programme suggéré ci-dessous :
1. Etudier et réfléchir aux nombreuses propositions faites par les penseurs et les dirigeants mondiaux quant à la future réhabilitation du monde. Il sera nécessaire de faire des plans de lecture et de savoir de quoi l'on discute. Cultivez une opinion intelligente, basée sur la bonne volonté, et sur ce que, à la suite de votre étude, vous pensez devoir être fait. Puis discutez ces idées dans votre foyer, parmi vos amis et dans votre environnement, sans crainte ni complaisance.
Cela vous aidera si vous considérez de telles discussions comme un service, et si vous croyez que votre intérêt et votre enthousiasme ne manqueront pas d'avoir leur effet.
2. Si possible, réunissez des gens pour débattre du futur ordre mondial, pour l'étudier ou pour coopérer avec des personnes déjà engagées dans cette tâche. Considérez ces réunions comme une contribution précise à la formation de l'opinion publique et comme une méthode d'édification de ce réservoir de force-pensée que pourront utiliser ceux dont la tâche sera de reconstruire. Si deux personnes seulement coopèrent avec vous en la matière, votre effort ne sera ni perdu, ni inefficace, car vous aiderez à changer le contenu de la pensée mondiale et à marquer d'autres esprits, même si vous l'ignorez.
3. Etendez votre intérêt à de nombreux pays et essayez de comprendre leurs divers problèmes. Beaucoup de personnes connaissent des gens dans ces pays étrangers ; on peut donc dresser des listes de leur nom et adresse. Dès que la guerre sera finie et que les voies de communications fonctionneront de nouveau, vous pourrez chercher à atteindre ces personnes, tenter de les repérer par tous les moyens disponibles ; puis, les ayant découvertes, les fortifier par l'assurance de votre bonne volonté ou de votre intérêt ainsi que par votre coopération pendant la période de reconstruction. Quelque fugitif qu'ait pu être votre contact avec elle dans le passé, nourrissez-le par la pensée et la prière et plus tard par une communication directe. De sorte qu'un grand réseau de relations s'établira et servira à souder le monde nouveau en un tout harmonieux et compréhensif.
4. Priez constamment ; à vos prières, ajoutez méditation et réflexion.
Derrière cette structure ou configuration du monde se trouve Celui qui en est l'origine, l'Energie qui l'a motivé, son Architecte, sa Volonté centrale, son Créateur vivant, son Dieu. Essayez par la prière d'atteindre cette Volonté centrale ou point de Vie, vous mêlant ainsi avec l'objectif divin que vous pressentez et identifiant votre volonté avec la Volonté divine. La Volonté-de-bien centrale peut être atteinte par l'homme dont la propre volonté-de-bien est une expérience pratique, vivante ; plus la volonté est exprimée, plus facilement vous découvrirez le Plan divin, y coopérerez et serez guidés par la main de Dieu dans les affaires humaines. Le véritable travail de reconstruction sera accompli par ceux qui, dans le silence de leur coeur, auront cheminé avec Dieu et appris ses méthodes.
5. Trouvez deux autres personnes pour travailler avec vous. Il y a une puissance unique dans cette triple relation. Dieu lui-même, ainsi le disent les Ecritures, travaille en tant que Trinité de bonté ; vous pouvez, dans votre sphère minuscule, faire de même, en trouvant deux autres personnes d'esprit semblable au vôtre, qui formeront un triangle de bonne volonté, de lumière et d'échange spirituel. Chacune des deux personnes coopérant avec vous peut à son tour agir de même, de sorte qu'un grand réseau de bonne volonté pourra s'étendre sur toute la terre. Par son intermédiaire, les Forces de Lumière pourront agir, et vous, à votre place et dans votre sphère, aurez aidé.
6. Découvrez et étudiez les méthodes, techniques et objectifs des divers groupes et organisations s'intéressant à la reconstruction du monde.
Vous pouvez n'être pas d'accord avec toutes, ou avec leurs projets et méthodes de travail, mais toutes sont nécessaires. Les types d'hommes sont nombreux, les races et conditions sont diverses, et les problèmes à résoudre exigent d'innombrables manières de travailler. Toutes peuvent jouer leur rôle si elles sont basées sur la véritable bonne volonté et exemptes de fanatisme. Le fanatique constitue un danger partout où il se trouve, car il ne voit qu'un côté de la question et ne peut apprécier les différents points de vue. Il n'admettra pas que tous sont nécessaires. La coopération est la clé de l'expression de la bonne volonté et, dans la future période de réhabilitation, la coopération sera la nécessité principale. Faites un relevé de tous les groupes de ce genre, de leurs chefs, de leurs objectifs et programmes. Cela se révélera utile quand la guerre sera terminée. Etablissez avec eux des relations d'aide et d'amitié, au mieux de vos possibilités.
7. Découvrez les hommes de bonne volonté dans votre entourage et tenez-en une liste. Soyez agressifs spirituellement en cette matière et partez à leur découverte. Quand vous les aurez trouvés, intéressezvous à ce qu'ils font et efforcez-vous de les faire coopérer à votre ligne d'activité. Notez les noms et adresses de ces personnes dans un registre, y ajoutant leurs capacités et fonctions, s'ils en ont ; dressez ainsi une liste de correspondance. Vous vous rendrez compte alors qu'il existe un groupe auquel on peut faire confiance pour travailler dans un esprit de bonne volonté en vue de la reconstruction mondiale.
Plus tard, ces listes pourront être réunies, si on le juge souhaitable, et former une vaste liste de correspondance, comportant des personnes de tous pays, qui travailleront selon les lignes indiquées et que l'on pourra atteindre simultanément. Elles formeront un corps d'opinion publique synchronisée, assez fort pour modeler les idées, influencer les masses et aider les gouvernants mondiaux dans une action juste et appropriée.
8. Par-dessus tout, comme suite aux suggestions ci-dessus, faites des projets précis pour la réhabilitation – physique, psychologique et spirituelle – des enfants de tous pays. Ils ont été les victimes de la perversité. Faites, à l'inverse, qu'ils reçoivent une bonne volonté, aimante. Les problèmes de redressement économique, de rétablissement de frontières territoriales, de démobilisation des armées et du réemploi des démobilisés, de reconstruction mondiale, sont profondément importants ; ils exigeront une aide experte. Mais le problème des enfants, comme je l'ai déjà signalé, est à la base de toute nécessité de reconstruction mondiale et plus important que tous les autres problèmes ; il dépasse toutes les barrières raciales et nationales et évoque le meilleur au coeur de chaque être humain. Les enfants ont un droit prioritaire sur tous les hommes.
Je fais donc appel à tous ceux que je peux atteindre par cet article, pour qu'ils concentrent leur effort majeur – mental, spirituel et pratique – pour se préparer à aider les enfants d'Europe et d'autres pays, qui ont beaucoup souffert du fait des Puissances de l'Axe. Cela prendra beaucoup de temps et les plans devront être élaborés avec soin ; il faudra enrôler la coopération d'experts du domaine de la protection de l'enfance, médecins, chirurgiens, infirmières, psychologues et éducateurs ; il faudra beaucoup d'argent pour rendre ces préparatifs efficaces, pour envoyer du personnel compétent dans les pays indigents et en ruines, pour accomplir le travail lorsqu'ils seront sur place ; il faudra aussi une compassion aimante et une longue patience. Ceci constitue néanmoins la possibilité la plus importante devant confronter les hommes de bonne volonté ; c'est l'activité de base de l'ordre nouveau, car cet ordre doit être instauré dans l'intérêt des enfants d'aujourd'hui. C'est eux qui habiteront ce monde nouveau, exprimeront les nouveaux idéaux, et transmettront à leurs enfants ce pour quoi nous nous sommes battus et sommes morts, le meilleur de ce que nous avons hérité, et ce que nous avons réussi à sauver pour eux. La pensée des enfants dans les pays soumis n'a pas arrêté l'avance des soldats d'Hitler ; le caractère sacré du foyer, et les besoins moraux et physiques des petits enfants n'ont pas éveillé une lueur de compassion chez les jeunes dressés par le système nazi d'éducation ; la relation entre mère et enfant n'entrait pas dans les calculs des agents de l'Allemagne, puisqu'ils séparaient les enfants des parents, laissaient l'enfant à la dérive dans un monde de carnage, ou le plaçaient dans un établissement public. Il faut porter remède à cette cruauté systématique ; ce remède doit être apporté par des hommes de bonne volonté au coeur aimant.
9. Commencez à mettre de côté, quelles que soient les exigences de la personnalité, les petites sommes que vous pourrez épargner et qui s'accumuleront en vue du travail de reconstruction. Si nous pouvons tous le faire, cela nous permettra de participer au travail sans demander une charge trop lourde aux autres. Veillez à ce que ce sacrifice et les fonds qui en résulteront demeurent inviolés entre vos mains jusqu'au moment, dans l'avenir, où vous vous déciderez de les utiliser.
Voici les suggestions pratiques qu'il semble possible de faire à l'heure actuelle. Elles sont de nature générale, et fondamentalement individuelles. Tout le schéma de la reconstruction en est encore au stade de formation dans la pensée. Le procédé à employer aujourd'hui est celui de l'éducation de soi, et de l'éveil de tous ceux que nous pouvons atteindre. Cela exigera l'étude et l'examen intelligent de méthodes pouvant faire face à ces nécessités et la découverte de ceux à qui, en dehors de toute question nationale ou religieuse, on peut faire confiance pour coopérer aux diverses phases du travail de reconstruction. A ce travail de préparation, tous peuvent participer.
Cette tâche fait appel à nous tous et aujourd'hui bien des voix nous y appellent ; des milliers de personnes ont eu le même rêve, ont eu la même vision, ont cru aux possibilités divines qui sont latentes dans le coeur de l'homme ; elles savent, au-delà de toute controverse, que la convoitise égoïste et universelle a amené le monde à son actuel état désespéré. Elles savent aussi qu'un partage altruiste et une compréhension coopérative peuvent construire un monde nouveau, introduire une vie plus belle et rétablir ce que l'humanité ellemême a détruit. Le meilleur est encore à venir. Nous pouvons nous en remettre au fait reconnu, que l'histoire de la race humaine a progressé régulièrement au cours des âges vers la lumière.