CHAPITRE VIII

L'UNIVERSALITÉ DE LA MÉDITATION

 

 

Le témoignage des Temps.

 Les Mystiques et les Connaisseurs.

 L’Union avec "l’Etre plus profond".

 L’uniformité de La technique.

 Les méthodes tibétaine, chinoise, indienne, soufie et chrétienne.

 

"Devant tout homme s’ouvre

Une Voie, et des Voies, et une Voie.

L’Ame élevée escalade la Voie élevée

L’Ame basse tâtonne dans le Bas ;

Entre les deux, sur les plateaux brumeux,

Le reste dérive çà et là.

Mais à chaque homme s’ouvre

Une Voie Elevée et une basse

Et tout homme décide

De la Voie que son Ame doit suivre."

 JOHN OXENHAM

 

Nous avons esquissé la méthode par laquelle le mystique peut devenir le connaisseur conscient et nous avons défini les étapes successives du développement qui suscite éventuellement l’illumination du cerveau physique et un mode inspiré de vie sur terre. Nous avons commencé avec un homme qui, ayant épuisé les ressources et les satisfactions de l’existence physique, et envisagé l’inévitable passage à une nouvelle dimension de vie, cherche le chemin de la connaissance et de la certitude. Il découvre, quand son investigation est impartiale, que, de tout temps, il y eut ceux qui surent, qui pénétrèrent au cœur du mystère de l’être et qui revinrent, rapportant l’assurance de l’immortalité de l’âme et de la réalité du Royaume de Dieu. Ils parlent également d’une méthode au moyen de laquelle ils sont arrivés à cette appréhension de la Vérité divine et d’une technique qui a rendu possible leur transition du quatrième au cinquième règne de la nature.

 Nous découvrons qu’au cours des âges ces hommes illuminés ont témoigné de la même vérité et ont prétendu que cette méthode universelle avait eu pour eux certains résultats qui peuvent être énumérés de la manière suivante :

 I.

Ils font l’expérience directe des divines réalités, des vérités transcendantes et du monde surnaturel. Au contact, tout ceci apparaît un processus aussi naturel, une part du développement évolutif aussi vitale qu’aucun des processus reconnus par les sciences de la biologie, de la physique et de la chimie. De même que ces trois grandes sciences sont occultes pour l’écolier moyen, et lui demeurent pratiquement inaccessibles, de même la métaphysique supérieure est-elle occulte pour les académiciens même, auxquels manquent l’ouverture d’esprit nécessaire, l’entraînement spécial et l’équipement.

 II.

Un autre effet du développement est le dévoilement du Soi.

Par l’éducation mentale et spirituelle, que la pratique de la méditation avancée confère, le problème des psychologues quant à la nature du Soi, de l’âme, de la psyché, est résolu, et le mot peut reprendre sa signification originelle. Psyché, le nom de l’âme. Le procédé a consisté en un dévoilement progressif de l’âme dont on s’approche de plus en plus, par étapes successives. La psyché émerge dans sa véritable nature.

 Derrière la matière, on peut trouver un facteur immanent et puissant qui est responsable de la cohérence de la forme et qui constitue la personnalité agissant dans le monde physique. Ceci peut être regardé comme l’aspect vie, et les étudiants luttent continuellement avec le problème de la vie, essayant d’arriver à son origine et à sa cause. Plus profondément enraciné encore, on peut trouver le sentiment, l’expérience de la souffrance ; l’aspect émotif du Soi, travaillant par le système nerveux et le cerveau et gouvernant avec force toutes les activités dans le monde des affaires humaines. Cet aspect ressent le plaisir ou la peine ; il a des réactions émotionnelles, des soucis, des désirs de toutes sortes. Ceci constitue la vie personnelle, pour la plupart d’entre nous, car nous sentons plus que nous ne pensons, à ce stade du développement humain. Patanjali nous en donne clairement la raison :

 Le sens de la personnalité est dû à l’identification du connaisseur avec les instruments de la connaissance... L’illusion que celui qui perçoit et ce qui est perçu sont un est la cause des effets engendrant la souffrance et dont il faut se garder.

 1 Bailey Alice A., The Light of the Soul, pp. 115-116.

 Ailleurs, il nous dit que l’expérience de la vie et le processus de l’existence physique et du sentiment proviennent de "l’inaptitude de l’âme à distinguer le soi personnel de l’esprit. Les formes objectives existent à l’usage de l’homme spirituel, en vue de son expérience. En méditant sur ceci, la perception intuitive de la nature spirituelle s’éveille"

 Ibid. p. 239.

 

Par cette expérience vitale, par le procédé du désir sensoriel et par la connaissance qui s’ensuit, l’homme épuise cet aspect de sa nature et pénètre plus profondément, jusqu’à ce qu’il arrive à un troisième facteur, l’intellect. L’homme en est à ce point de son investigation, et la considération attentive des processus mentaux, l’étude des réactions de l’intellect, de leurs causes et de leurs objectifs, retiennent de toutes parts l’attention des psychologues. Parmi les nombreuses écoles de pensée, il en est qui soutiennent des points de vue opposés, mais l’existence d’un quelque chose appelé intellect, influençant de plus en plus la race, est maintenant universellement reconnu.

 De là, où allons-nous ? Il y eut, au cours des âges, une constante progression de la conscience humaine évoluant ; une croissance continue de la compréhension de la nature, du monde dans lequel l’homme vit ; une perception accrue de l’ensemble jusqu’à ce que le monde entier fût relié par la radio, le télégraphe et la télévision.

L’homme est omniprésent et l’intellect est le facteur principal dans l’accomplissement de cet apparent miracle. Nous avons acquis une compréhension des lois qui gouvernent le monde de la nature et de quelques-unes de celles qui régissent le monde psychique. Restent à découvrir et à utiliser scientifiquement les lois du monde appelé spirituel. Elles sont connues d’un petit nombre d’êtres qui en ont parlé à l’humanité ; mais elles ne sont utilisées que par les pionniers de la race.

 Au nombre des connaisseurs éminents se trouvent Bouddha, le Christ, Platon, Aristote, Pythagore, Eckhart, Jacob Boehme, Spinoza, la liste est longue.

 Actuellement, nous commençons à nous demander s’il ne se pourrait que des centaines d’êtres en fussent au point de pouvoir coordonner leur cerveau, leur intellect et leur âme et, ce faisant, franchir le portail de la perception mentale et pénétrer dans le royaume de la lumière, de la perception intuitive, dans le monde des causes ? Du point de vue du monde mental dans lequel nous avons pénétré aujourd’hui, laissant derrière nous les voiles du corps physique et de la nature psychique, ne sommes-nous pas capables, maintenant, de passer à notre développement évolutif suivant ? Ayant quelque peu compris la nature de l’humanité et de l’intellect, ne pouvons-nous commencer à saisir la nature de l’intuition et, de la sorte, fonctionner dans un autre royaume de la nature, avec une compréhension et une facilité égales celles que nous apportons à fonctionner en tant qu’êtres humains ? Les connaisseurs nous disent que nous le pouvons et ils nous en indiquent le moyen.

 III.

Employant le langage des pionniers du royaume de l’esprit, le troisième résultat de la méditation est de trouver Dieu. Ce que nous entendons, en détail, par ce petit mot de quatre lettres, est relativement sans importance. Il n’est qu’un symbole de la Réalité. Toutes les religions du monde posent en principe l’existence d’une Vie, immanente dans la forme, et d’une Cause qui a donné l’être à tout ce qui est. Chaque être humain est conscient en lui-même de vagues efforts (qui deviennent plus violents à mesure que l’intellect se développe) pour connaître, comprendre et répondre aux questions pourquoi ? et comment ? La majorité des hommes, quelle que soit leur théologie, lorsqu’ils sont en face de la mort, affirment leur croyance en un Père de tous les êtres, et acceptent tout ce que cette paternité implique. Considérons Dieu comme le "But Supérieur et Inconnu" qui peut être reconnu comme la somme de toutes les formes qui expriment la Vie, le total de tous les états de conscience et comme la Vie même ; regardons la Déité comme ce en quoi nous vivons, nous mouvons et avons notre devenir ; et qui réalise à travers toutes les formes de la nature (y compris la forme humaine) son propre Plan inclusif et synthétique. Les Connaisseurs nous disent que lorsqu’ils sont arrivés à un chemin, grâce à une méthode, et qu’ayant suivi ce chemin ils ont connu une autre manière d’être, le Dessein et le But Divins leur ont été révélés. Ils peuvent y participer activement, et travailler consciemment, intelligemment dans le sens de l’évolution.

Ils savent ce qui arrive, car ils ont vu les épures divines.

 IV.

Nous exprimant suivant le langage de toutes les écoles mystiques, orientales aussi bien qu’occidentales, ces résultats se résument en ces mots : l’Union avec Dieu, ou la fusion avec la Divinité. Dieu et l’homme sont un. Le Soi et le Non-Soi sont unifiés. Tauler s’exprime, à ce sujet, de la façon suivante :

Dans cette union (...) l’homme n’atteint pas Dieu par des images ou des méditations, ni par des efforts mentaux supérieurs, ni par une saveur ou une lumière. Mais c’est véritablement Lui-même qu’il reçoit intérieurement, et d’une manière qui surpasse grandement toute la lumière des êtres créés, toute raison, toute mesure et toute intelligence

 Cité de Poulain R. P., Graces of Interior Prayer, p. 80.

 

Tous les facteurs au-dessous de la réalité spirituelle ne sont que des chemins conduisant au centre et doivent être entièrement annulés dans l’état contemplatif, où l’homme passe de la conscience de la forme à celle de la réalité, l’âme. Celle-ci étant une partie consciente, indivisible de l’Ame Universelle (si paradoxal que cela semble), est dépourvue du sens de la séparation ; dès lors, l’Union avec Dieu est réalisée comme un fait dans la nature, ayant toujours existé. L’âme sait consciemment qu’elle est une avec Dieu. Ayant ceci présent à l’esprit et comprenant le rôle qu’a joué l’intellection, les paroles de saint Paul prennent une nouvelle signification :

 Ayez en vous l’esprit du Christ Jésus qui, bien qu’Il fût dans la condition de Dieu, n’a point tenu pour usurpée son égalité avec Lui.

 Les résultats de cette union (réalisée dans l’état contemplatif) sont l’illumination de l’intellect et du cerveau, pourvu qu’ils aient été l’un et l’autre maintenus positivement stables et dans une condition d’attente. L’illumination, quand elle devient fréquente et peut être finalement provoquée à volonté, produit en définitive la vie de l’inspiration.

 S’il se trouve des femmes et des hommes intelligents qui ayant compris les stades décrits précédemment et les ayant traversés victorieusement, consentent à se soumettre à la technique esquissée ici, beaucoup d’entre eux surgiront, qui seront témoins de cette science divine. L’on découvrira combien ce que j’ai écrit dans The Soul and its Mechanism est vrai : "Une race nouvelle surgira, possédant des capacités, des idéaux, des concepts neufs, concernant Dieu et la matière, la vie et l’Esprit. Cette race et l’humanité future révéleront non seulement un mécanisme et une structure, mais encore une âme, une entité, qui, se servant du mécanisme, manifestera sa propre nature qui est l’amour, la sagesse, l’intelligence (Bailey Alice A., The Soul and its Mechanism, p. 130.)." Ici, il est intéressant de noter l’uniformité de l’enseignement de toutes les religions, dans toutes les races, concernant la technique de l’entrée dans le royaume de l’âme. A un certain point du sentier de l’évolution, il apparaît bien que tous les chemins convergent et que tous les pèlerins arrivent à une position identique. A partir de cette jonction, ils parcourent le même sentier, emploient la même méthode et se servent curieusement de la même phraséologie. A l’extension de l’étude des religions comparées, aux échanges entre races, il est évident que le temps est venu de réaliser tout cela définitivement. Ces deux facteurs brisent les vieilles barrières et démontrent l’unité de l’âme humaine.

 Généralement parlant, ce Chemin comporte quasi universellement trois divisions, que l’on retrouve par exemple dans les trois grandes religions : le Christianisme, le Bouddhisme et l’Hindouisme. L’Eglise chrétienne parle du Sentier de Probation, du Sentier de la Sainteté et du Sentier de l’Illumination.

Le Dr Evans-Wentz, d’Oxford, dans son ouvrage Tibet's Great Yogi, Milarepa, cite un maître hindou, en ces termes :

 Pour moi, les trois principales écoles tibétaines marquent trois étapes sur le Sentier de l’Illumination ou du progrès spirituel. Dans la première, le dévot est sujet aux injonctions et aux prohibitions (...) il est "lié par les ordonnances" ; dans la seconde, il adhère aux modes traditionnels... Les restrictions ordinaires sont en partie relâchées, quoique le dévot ne soit pas encore tout à fait libre. Dans la troisième, l’Adi-Yoga, quand, par les pratiques de la Yoga, la Lumière est vue, il n’y a plus aucune restriction ; l’état de Bouddha (...) a été atteint. Ces trois stades correspondent grosso modo à ce qui est signifié dans les Tantras par (...) l’Etat de l’Homme-Animal (...) l’Etat du Héros et l’Etat du Divin ou de Celui qui est éclairé.

 Evans-Wentz W. Y., Tibet's Great Yogi, Milarepa, p. 5.