II. L'Etape de la Méditation

 

Patanjali définit la concentration comme le maintien de la conscience perceptive dans une certaine région et la méditation comme le maintien prolongé de cette même conscience, dans une certaine région. Ceci implique seulement une différence dans le facteur temps et semble faire des deux étapes une question de contrôle. Par la pratique de la concentration, l’élève doit acquérir un contrôle suffisant pour n’avoir plus à rassembler continuellement ses pensées. Par conséquent, une concentration prolongée fournit à l’intellect l’occasion de s’exercer sur tout objet inclus dans les limites de la région choisie.

Le choix d’un mot, d’une phrase comme sujet de méditation, établit cette limite et, si la méditation est bien conduite, l’intellect ne cesse jamais de considérer l’objet ainsi choisi. Il demeure concentré et continuellement attentif pendant toute la durée de la méditation. De plus, il ne lui est pas permis de faire ce qu’il lui plaît de l’objet ou de la pensée-semence. Dans la concentration, celui qui médite doit avoir tout le temps conscience d’utiliser son intellect.

Dans la méditation, cette conscience de l’intellect, étant employée, se perd, mais il ne peut y avoir ni rêverie, ni poursuite d’idées quelconques, en rapport avec l’objet de la pensée. La pensée-semence a été choisie à dessein, soit en raison de son effet sur celui qui médite, soit au point de vue service, quant à une autre personne, à une œuvre spirituelle ou bien à une phase de la recherche de la sagesse. En cas de succès, celui qui médite ne réagit que peu ou point, tant au point de vue satisfaction qu’absence de satisfaction. Les réactions émotives sont dépassées ; en conséquence, l’intellect est laissé libre de se comporter selon son droit. Il en résulte une clarté de pensée inconnue jusqu’alors, l’intellect étant d’ordinaire continuellement affecté par un désir d’une sorte ou d’une autre. Dans cet état de conscience, le désir est surpassé comme le sera plus tard la pensée au stade de la contemplation. Quand l’intellect est frappé d’inaction par inhibition ou par répétitions persistantes, il ne peut être ni dépassé dans la contemplation ni utilisé dans la méditation.

Faire le vide dans l’intellect est un sot et dangereux exercice. Dans les Yogas Sutras, de Patanjali, nous trouvons ces mots :

 La conquête graduelle de la tendance qu’a l’intellect à voltiger d’un objet à un autre et le pouvoir de le fixer sur un seul point constitue le développement de la contemplation.

 La méditation est le résultat de l’expérience. Elle est l’obtention instantanée d’une tournure d’esprit, conséquence d’une longue pratique. Nous voyons, dans la Bhagavad-Gitâ, qu’en toute action se retrouvent les cinq facteurs suivants :

 1. L’instrument matériel Le cerveau

2. L’acteur Le Soi

3. L’organe Le mental

4. L’impulsion L’énergie

5. La destinée Le karma.

 Bhagavad-Gitâ, XIII, 13-14.

 

La méditation est une activité d’un genre très intense et l’on verra qu’elle comporte, elle aussi, ces cinq facteurs. L’instrument matériel que nous devons employer en méditation, c’est le cerveau physique. Beaucoup de personnes pensent qu’elles doivent dépasser celui-ci, atteindre quelque altitude extraordinaire et s’établir sur quelque pinacle de pensée, jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose de transcendant leur permettant de dire qu’elles connaissent Dieu. Ce qui importe en réalité, c’est de contrôler notre activité cérébrale et mentale de telle sorte que le cerveau devienne le réceptacle des pensées et des désirs de l’Ame ou Soi Supérieur, qui les lui transmet par l’entremise de l’intellect.

 Le mental est considéré comme un sixième sens et le cerveau comme une plaque sensible. Nous utilisons déjà les cinq sens comme moyens de perception et ils télégraphient constamment leurs renseignements au cerveau, concernant cinq vastes champs de connaissance, cinq sortes de vibrations différentes. Le mental est appelé à jouer un rôle similaire. Meister Eckhart a résumé tout cela dans le passage suivant qui définit la position de tous les mystiques, orientaux et occidentaux.

 D’abord, veille à ce que tes sens extérieurs soient dûment contrôlés... Maintenant, tourne-toi vers les sens intérieurs, les nobles facultés de l’âme, inférieures et supérieures. Prends d’abord les facultés inférieures, elles sont intermédiaires entre les facultés supérieures et les sens extérieurs. Elles sont excitées par les sens extérieurs ; ce que les yeux voient, ce que les oreilles entendent, elles le présentent au désir qui, d’ordinaire, le présente à son tour à la seconde faculté appelée jugement, qui le considère et, une fois encore, le passe à la troisième faculté, la raison...

 De plus, un homme doit avoir son intellect à l’aise (...) le corps doit se reposer de tout labeur corporel, non seulement des mains, mais encore de la langue comme des cinq sens.

C’est dans le repos que l’âme est le mieux libre ; mais, dans un corps las, souvent l’inertie la vaine. Alors, concentrant nos efforts, nous travaillons dans l’amour divin à la vision intellectuelle, jusqu’à ce que, traçant le chemin à travers les sens rassemblés, nous nous élevions au-delà de notre intellect, jusqu’à la prodigieuse sagesse de Dieu... L’homme s’élevant jusqu’au sommet de son intellect est Dieu exalté.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, pp. 279, 47.

 

Au moyen du mental, en tant qu’instrument dirigé, l’âme peut manier les impulsions et les courants de pensée. Ces forces se déversent dans le champ d’expérience du Penseur et il doit apprendre à les diriger consciemment, à travailler avec elles afin d’obtenir le résultat désiré.

 Le cinquième facteur nous rappelle qu’il faut atteindre un certain stade de développement évolutif, avant que la pratique de la méditation soit possible : l’homme doit avoir accompli un certain travail et perfectionné son instrument pour s’y adonner sans danger. Tous les individus ne sont pas équipés pour méditer avec l’espoir d’un plein succès. Ceci ne doit aucunement décourager l’élève. On peut toujours commencer et poser de solides fondations. Le contrôle du processus mental peut être entrepris et poussé très loin, de manière à fournir à l’âme un appareil de pensée prêt à lui servir. En réagissant aux trois parties de la méditation, mais réagissant d’une manière unifiante, la nature physique, ou nature de la forme, a été étudiée ; la qualité qui l’anime et le motif ou cause de la manifestation de la forme ont été considérés. En même temps, la concentration est devenue plus profonde et la méditation plus intense.

L’attention s’est tournée de plus en plus vers l’intérieur, et les choses extérieures ont été patiemment rejetées ; ceci ne s’est pas accompli grâce à une attitude passive, mais par un intérêt des plus vifs et des plus vitaux. La méthode de la méditation a été positive et n’a pas abouti à un état négatif ou de transe.

L’intellect a été actif tout le temps et actif dans une seule direction. Finalement vient le stade appelé béatitude ou identification. La conscience n’est plus concentrée dans l’intellect mais est identifiée avec l’objet de la méditation.

Nous considérerons ceci plus tard.

 Nous avons donc quatre stades se résumant comme suit, et constituant ce que l’on appelle "la méditation avec semence".

 1.Méditation sur la nature d’une forme particulière ;

2.Méditation sur la qualité d’une forme particulière ;

3.Méditation sur le but d’une forme particulière ;

4.Méditation sur la vie animant une forme particulière.

 Toutes les formes sont les symboles d’une vie qu’elles incorporent, et c’est par la méditation "avec semence" que nous parvenons à l’aspect vie.

 Dans Un traité sur le Feu cosmique, nous trouvons les paroles suivantes :

 L’élève avisé considère toutes les formes comme étant de nature symbolique. Un symbole a trois interprétations : il est lui-même l’expression d’une idée, et cette idée à son tour a derrière elle un but ou une impulsion inconcevable quant à présent. Les trois interprétations d’un symbole peuvent être traitées de la manière suivante :

 1.L’interprétation exotérique d’un symbole est basée largement sur son utilité objective et sur la nature de la forme. Ce qui est exotérique et substantiel sert à deux fins :

a.A donner de vagues idées concernant une idée et un concept.

Ceci relie le symbole (...) au plan mental, mais ne le libère pas des trois mondes de l’appréciation humaine.

 b.A limiter, confiner, emprisonner l’idée et à l’adapter de la sorte au degré d’évolution de l’homme. La vraie nature de l’idée latente est toujours plus puissante et plus complète que la forme ou le symbole à travers lequel elle essaie de s’exprimer. La matière est le symbole d’une énergie centrale.

Les formes de toutes les espèces, dans tous les règnes de la nature et les enveloppes manifestées sont, dans leur plus large implication et dans leur totalité, simplement des symboles de la vie. Mais, ce qu’est cette vie demeure encore un mystère.

2.L’interprétation subjective, ou signification, est celle qui révèle l’idée cachée derrière la manifestation objective. Cette idée, incorporelle en soi, devient une concrétion sur le plan de l’objectivité... Ces idées deviennent apparentes à l’élève, après qu’il est entré en méditation, de même que la forme exotérique du symbole est tout ce que voit l’homme à ses débuts. Dès que l’homme commence à se servir sciemment de son appareil mental et a pris contact, même superficiellement, avec son âme, trois choses se produisent :

a.Il va au-delà de la forme et cherche à se rendre compte ;

b.Avec le temps, il parvient à l’âme que la forme voile, cela par la compréhension de sa propre âme ;

c.Il commence alors à formuler des idées, à créer et à manifester cette énergie –de - l’âme ou substance qu’il s’est découvert le pouvoir de manipuler.

Exercer les gens à travailler dans la substance mentale, c’est les dresser à créer ; leur apprendre à connaître la nature de l’âme, c’est les mettre en contact conscient avec le côté subjectif de la manifestation et leur donner la capacité de travailler avec l’énergie – de - l’âme ; les rendre susceptibles de développer les pouvoirs de l’âme, c’est les mettre en rapport avec les forces et les énergies cachées dans tous les règnes de la nature.

Quand le contact avec l’âme est établi et que les perceptions subjectives sont fortifiées et développées, alors, un homme peut devenir un créateur conscient, coopérant à l’évolution, aux plans de Dieu. Tandis qu’il passe de stade en stade, sa capacité de travailler, d’atteindre la pensée au-delà du symbole, augmente. Il n’est plus trompé par l’apparence, mais sait qu’elle est la forme illusoire qui voile, emprisonne une pensée quelconque.

 3.La signification spirituelle est ce qui existe derrière le sens subjectif et qui est voilé par l’idée ou pensée, de même que l’idée est voilée par la forme qu’elle assume pendant la manifestation exotérique. Cette signification spirituelle peut être considérée comme l’intention qui suggère l’idée et la conduit à sa manifestation dans le monde de la forme. C’est l’énergie dynamique centrale, responsable de l’activité subjective.

 Bailey Alice A., Treatise on Cosmic Fire, pp. 1233 et suiv.

  

Le procédé selon lequel on parvient à la réalité derrière toute chose est le résultat de la "méditation avec semence". Il implique la compréhension des trois aspects de la vie Divine. C’est pourquoi il est conseillé aux élèves de prendre pour sujet de méditation certains mots spécifiques, ou bien un vers tiré d’un livre sacré, afin de développer leur faculté de pénétrer derrière la forme des mots et d’atteindre ainsi à leur véritable signification.

 Nous avons pénétré dans le monde des causes ; nous devons chercher à appréhender le Plan tel qu’il existe dans l’intellect de Dieu et tel qu’il s’exprime par l’amour émanant du cœur de Dieu. Est-il possible aux intellects humains d’aller plus loin que l’amour et la volonté de Dieu ? A ce point, exactement, s’établit le contact avec la Divinité. L’intellect cesse de fonctionner et le véritable élève passe à un état conscient d’identification avec la réalité spirituelle que nous appelons le Christ Intérieur, l’Ame divine.

 L’homme, à ce point, entre en Dieu.