35. L'expérience (des couples de contraires) provient de l'inaptitude de l'âme à distinguer entre le soi personnel et le purusha (ou esprit).
Les formes objectives existent en vue de l'utilisation (et expérience) de l'homme spirituel. Par la méditation sur ce fait survient la perception intuitive de la nature spirituelle.
Nous avons de nouveau ici une paraphrase assez approximative du texte original, mais qui en donne néanmoins l'interprétation correcte.
Nous avons vu dans les sutras précédents que le sentier étroit où l'on doit marcher entre les couples de contraires (par la pratique de la discrimination et de l'impassibilité) est le sentier de l'équilibre et de la pondération, le noble sentier médian. Ce sutra a le caractère d'un commentaire sur ce stade d'expérience de l'âme et il s'en dégage les enseignements suivants :
Premièrement
Que la raison qui nous porte à affronter les couples de contraires et à opter si souvent pour une ligne d'activité ou d'attitude mentale suscitant en nous le plaisir ou la peine, est le fait de notre incapacité à établir une distinction entre les natures inférieure et supérieure, entre le soi personnel (fonctionnant comme une unité physique, émotive et mentale) et l'esprit divin qui se trouve en chacun de nous. Nous nous identifions avec l'aspect forme et non avec l'esprit. Nous nous sommes, au cours d'âges sans nombre, considérés nous-mêmes comme étant le non-soi et nous avons oublié notre filiation, notre unité avec le père, et le fait que nous sommes en réalité le soi, résidant à l'intérieur.
Secondement
Que le but de la forme consiste simplement à rendre le soi apte à prendre contact avec des mondes qui seraient autrement fermés pour lui, d'atteindre à la parfaite connaissance du royaume du Père en toutes ses parties constituantes, et de se manifester ainsi en tant que fils de Dieu pleinement conscient. A travers la forme l'expérience s'acquiert, la conscience s'éveille, les facultés s'épanouissent et les pouvoirs se développent.
Troisièmement
Que si ce fait est intellectuellement saisi et intérieurement médité, la conscience de son identité avec la nature spirituelle se développe chez l'homme, en même temps qu'il établit une distinction entre lui et sa forme. Il se sait être, en vérité, non la forme, mais l'habitant intérieur, non le soi matériel, mais le soi spirituel ; non les différents aspects, mais l'Un unique ; et le grand processus de libération va ainsi de l'avant. L'homme devient ce qu'il est et cette réalisation résulte de la méditation sur l'âme intelligente, l'aspect médian, le principe christique qui relie le Père (l'esprit) à la Mère (la matière).
On peut alors voir à nouveau la grande triade :
1.
Le Père, ou esprit, celui qui se manifeste, qui crée, qui réside à l'intérieur.
2.
Le Fils qui révèle, médite et relie l'aspect supérieur à l'aspect inférieur.
3.
Le Saint-Esprit adombrant la Mère ; la substance matérielle intelligente, qui fournit les formes à travers lesquelles s'acquiert l'expérience et se poursuit le développement.
L'entité qui fait l'expérience, qui incarne et réalise l'expression divine au moyen de la forme, c'est l'âme, le soi, l'homme spirituel conscient, le Christ intérieur. Lorsqu'il a, grâce à cette expérience, atteint la maturité, il révèle le Père – ou esprit – et accomplit ainsi les paroles du Christ (lorsqu'il répondit à la question de Philippe "Seigneur, montre-nous le Père") : "Celui qui m'a vu a vu le Père." (Jean, XIV)