19. Les divisions des gunas (ou qualités de la matière) sont au nombre de quatre : spécifique, non spécifique, indiquée et insaisissable.
Il est intéressant de noter ici le caractère quadruple des gunas ou qualités (somme totale des attributs ou aspects de la substance de notre système solaire). Cette division septénaire présente une analogie avec les groupes septuples que nous trouvons à travers tout notre univers manifesté. Nous avons d'abord les trois aspects majeurs de la substance de la pensée :
1. La substance sattvique le rythme, l'équilibre, l'harmonie.
2. La substance rajasique la mobilité, l'activité.
3. La substance tamasique l'inertie, la stabilité.
Se divisant toutes trois en :
1. La spécifique les éléments manifestés, la forme, les sens, les réactions dynamiques,
2. La non spécifique les tanmattras,
3. L'indiquée la substance primordiale, les tattvas, la matière atomique,
4. L'insaisissable la grande Existence, somme de toutes les autres.
Ce sutra est destiné à passer en revue les éléments techniques des aspects forme de la manifestation, qu'il s'agisse de la manifestation d'un atome humain ou d'une déité solaire, et il se borne à indiquer le caractère naturellement triple de la substance, sa nature septuple et ses diverses mutations. Il exprime la nature de l'aspect de la vie divine appelé Brahma par les Hindous et Saint-
Esprit par les chrétiens. C'est là le troisième aspect de la Trimurti ou Trinité, l'aspect de la matière intelligente et active dont doit être construit le corps de Vishnou ou du Christ cosmique, afin que Shiva, le Père ou Esprit, puisse disposer d'un agent de révélation. Il pourrait donc être utile d'indiquer la nature des quatre divisions des trois gunas, après avoir donné les synonymes de ces dites gunas.
Les trois gunas :
1. Les qualités de la matière,
2. Les aspects de la substance pensante, ou du mental universel,
3. Les attributs de la matière dynamique,
4. Les trois pouvoirs.
Ces triades devraient être soigneusement étudiées, car c'est grâce à elles que la conscience devient possible en ses divers degrés. Nous avons affaire ici à la grande illusion des formes avec lesquelles s'identifie l'Homme réel, pour son affliction et sa douleur, au cours du long cycle de manifestation, et dont il doit en définitive se libérer. Une pensée plus large encore y est impliquée : l'emprisonnement de la vie d'un Logos solaire dans la forme d'un système solaire ; son développement évolutif au moyen de cette forme ; puis la perfection finale de cette vie et sa libération hors de la forme, au terme d'un grand cycle solaire. Le cycle humain plus restreint est inclus dans le plus grand et l'accomplissement de l'homme, ainsi que la nature de sa libération, n'ont lieu qu'en corrélation avec le plus grand tout.
1.
La division spécifique des gunas.
Cette division spécifique, ou particularisée des gunas, se divise en seize parties qui traitent principalement de la réaction de l'homme au monde objectif tangible.
a.
Les cinq éléments : éther, air, feu, eau et terre. Ils sont les effets directement afférents au son, ou mot non spécifique ou subjectif.
b.
Les cinq organes des sens : l'oreille, la peau, l'œil, la langue et les narines, représentant les organes ou canaux physiques rendant possible l'identification avec le monde tangible.
c.
Les cinq organes de l'action : la voix, les mains, les pieds, les organes d'excrétion et les organes génitaux.
d.
Le mental. C'est le sixième sens, l'organe qui synthétise tous les autres organes sensoriels et grâce auquel leur usage deviendra en définitive une chose du passé.
Ces seize moyens de perception et d'activité dans le monde phénoménal constituent des canaux à l'usage de l'homme réel et pensant ; ils démontrent sa réalité agissante et sont la somme des faits physiques concernant tout fils de Dieu en état d'incarnation.
Considérés du point de vue cosmique, ils sont également la somme des faits démontrant la réalité d'une incarnation cosmique. "Le Verbe S'est fait chair", à la fois individuellement et dans un sens cosmique.
2.
La division non spécifique des gunas.
Ces divisions sont au nombre de six et concernent ce qui réside à l'arrière-plan de la division spécifique ; elles traitent de ce qui est subjectif et intangible, ainsi que du déploiement de force qui produit les formes spécifiques.
Dans les livres hindous, elles sont désignées par le terme technique de tanmattras. Elles se rapportent à la conscience plus qu'à la forme et constituent les "modifications spéciales de bouddhi ou de la conscience" (Ganganatha Jha). Ce sont :
1.
L'élément de l'ouïe, ou ce qui produit l'oreille – les rudiments de l'ouïe.
2.
L'élément du toucher, ou ce qui produit le mécanisme du toucher : la peau, etc. – les rudiments du toucher.
3.
L'élément de la vue, ou ce qui produit l'oeil.
4.
L'élément du goût, ou ce qui produit le mécanisme du goût.
5.
L'élément de l'odorat, ou ce qui produit le mécanisme de l'odorat.
Derrière ces cinq éléments se trouve le sixième tanmattra, ou modification du principe de la conscience, le "sentiment de la personnalité", comme on l'a appelé, la conscience de "Je suis Moi". Le principe de l'ahamkara. C'est cela qui produit le sens de la réalité personnelle, le sentiment d'être soi-même une unité de conscience distincte. C'est la base de la grande "hérésie de la séparativité" et la cause qui leurre l'homme réel, ou spirituel, en le plongeant dans la grande illusion. C'est ce qui, pendant des âges sans nombre, force l'homme à s'identifier avec les choses des sens et ce qui l'amène finalement à la condition dans laquelle il part en quête de la libération.
3.
L'indiquée.
Derrière les divisions spécialisées et derrière les six non spécialisées, se trouve ce qui en est la cause, ce que les livres hindous nomment Bouddhi ou raison pure, l'intellect distinct du mental inférieur, appelé parfois intuition, et dont la nature est amour-sagesse. C'est la vie ou principe du Christ qui, dans le processus consistant à s'incarner ou prendre une forme, se manifeste, tel que nous le connaissons, comme étant à la fois le spécifique et le non spécifique. Pour la majorité des hommes il n'est encore qu' "indiqué". Nous conjecturons sa présence.
Le travail de Raja Yoga consiste à faire de cette vague conjecture une parfaite connaissance, afin que la théorie devienne un fait et que ce qui est latent, ce qu'on croit exister, puisse être discerné et reconnu pour ce que c'est.
4.
L'insaisissable.
Nous arrivons enfin à la quatrième division des gunas ou aspects, à ce "en quoi nous avons la vie, le mouvement et l'être", au Dieu insaisissable et inconnu. C'est la grande forme d'existence dans laquelle se trouvent nos formes infimes. C'est la somme de la substance pensante dont nos faibles esprits font partie ; c'est la manifestation intégrale de Dieu à travers le Christ cosmique, dont chaque humble Fils de Dieu est une partie. De cet insaisissable, de cet inconnu, le mental de l'homme ne peut encore rien concevoir.