LIVRE IV - 15. Ces deux choses : la conscience et la forme, sont distinctes et séparées ; bien que les formes puissent être semblables, la conscience peut fonctionner sur différents niveaux de l'être.

15. Ces deux choses : la conscience et la forme, sont distinctes et séparées ; bien que les formes puissent être semblables, la conscience peut fonctionner sur différents niveaux de l'être.

 

Ce sutra ne devrait pas être considéré indépendamment du suivant, qui affirme que le Mental unique – ou la Vie unique – est la cause puissamment active de tout ce qui, à une moindre échelle, est mental et vie. Ce fait doit toujours être gardé à l'esprit. Ce sutra comporte donc trois idées majeures.

Premièrement, l'idée qu'il existe, dans l'évolution, deux grandes lignes ; celle concernant la matière et la forme, et celle concernant l'âme, l'aspect conscience, le penseur en manifestation. Sur chacune d'elles, le sentier du progrès diffère et chacune suit son cours. L'âme, comme il a été dit, s'identifie pendant un temps très long avec l'aspect forme et s'efforce de suivre le Sentier de la Mort car c'est en fait ce que le sentier noir représente pour le penseur.
Plus tard, grâce à un effort acharné, cette identification cesse ; l'âme prend conscience d'elle-même et de son propre sentier ou dharma, et suit alors la voie de la lumière et de la vie.

Il ne faut cependant jamais oublier que, pour les deux aspects, leur propre sentier est le bon et que les impulsions qui se dissimulent dans le véhicule physique ou le corps astral, ne sont pas mauvaises en elles-mêmes.
Vues sous certains angles, elles deviennent mauvaises lorsqu'elles sont détournées de leur usage correct. Dans le Livre de Job, c'est la conscience que le disciple avait de ce fait qui l'incita à crier sa peine en disant : "J'ai perverti ce qui était juste." Les deux lignes de développement sont séparées et distinctes, et c'est cela que chaque aspirant doit apprendre.

Quand ceci est compris, il cherche à seconder l'évolution de ses formes de deux façons ; d'abord en refusant de s'identifier avec elles, et ensuite en les stimulant.

Grâce à l'apport de la force spirituelle, il prend conscience également du point de l'évolution où se trouvent ses frères, et il cesse de critiquer chez eux ce qui, pour lui, serait une action mauvaise, mais qui pour eux, constitue l'activité naturelle de la forme pendant le cycle où la forme et l'âme s'identifient et sont considérées comme une seule et même chose.

La seconde grande ligne de pensée que comporte le sutra 15 est plus difficile à comprendre. Elle donne du ton et une certaine véracité à la controverse dans laquelle s'engagent maints penseurs qui soutiennent que les choses n'existent, et n'ont de forme et d'activités, que pour autant que le mental du penseur les formule. En d'autres termes, que nous créons notre propre entourage et construisons notre propre monde en vertu des modifications de notre propre principe pensant ; la conclusion en est (compte tenu de la substance de base : l'esprit-matière) que nous en tissons des formes par les impulsions de notre propre pensée. Les autres gens perçoivent ce que nous voyons, car quelques-unes des modifications de leur mental sont analogues aux nôtres et leurs réactions et impulsions sont à certains égards similaires. Cependant, jamais deux personnes ne voient un objet exactement de la même façon. En vérité, les "choses" ou formes de matière existent ; elles sont ou créées ou en voie de création et sont le fait d'un ou plusieurs esprits. La question consiste à savoir qui porte la responsabilité des formes-pensées dont nous sommes environnés. Le commentaire et la traduction de Dvidedi penchent vers cette seconde ligne de pensée plus que ne le fait la paraphrase du Tibétain, et il est utile de l'étudier, car le nombre des esprits qui abordent un problème peut en faire apprécier l'ampleur. Des conclusions oiseuses et légères sont évitées et il devient alors possible de se rapprocher de la vérité. Le point de vue synthétique est plus près de la vérité universelle que le point de vue spécialisé.
Dvidedi écrit :

"Bien que les choses soient semblables, la cause du mental et des choses diffère en raison de la différence des esprits."

Les considérations précédentes établissent de façon indirecte l'existence des choses en tant qu'objets extérieurs au mental. Les Vijnanavadi-Bouddhas, qui maintiennent que les choses ne sont que des reflets de notre principe pensant, ne seraient pas d'accord avec cette prise de position. Mais leurs objections ne supporteraient pas l'examen, car l'existence des choses indépendamment du principe pensant est indubitable. Bien qu'il y ait, en vérité, une complète similitude entre les objets de la même catégorie, il n'en reste pas moins que la façon dont les objets affectent le mental et la façon dont le mental est affecté par eux, sont deux choses entièrement distinctes. Les objets existent donc en dehors du principe pensant. Bien que les objets soient semblables, ils ne se présentent pas à des esprits différents sous la même lumière, ce qui démontre qu'ils existent indépendamment du mental. De plus, nous entendons maintes personnes dire qu'elles ont vu un objet donné tel qu'il est vu par une autre personne. Ceci prouverait que, bien que l'objet soit unique, ceux qui le connaissent sont nombreux. Ce fait donne la preuve de la différence existant entre l'objet et le mental. Or, celui qui voit et la vue, c'est à dire le mental et l'objet, ou l'instrument de la connaissance et l'objet de la connaissance, ne peuvent être une seule et même chose, car alors toute connaissance sélective serait impossible, ce qui d'ailleurs est absurde. Tenter de trouver une solution à cette difficulté en disant que le vasana éternel de la forme des objets extérieurs est la cause de toute notre connaissance sélective, est sans objet, car ce qui s'est déjà dissipé ne peut devenir une cause. Il ressort de ceci qu'il faut accorder à l'objet une existence indépendante du sujet. Il ne faut pas non plus imaginer que la substance (Prakriti) pourrait, dans ce cas, être la cause des multiples différences de notre vie expérimentale, car les trois gunas et leurs combinaisons diverses à différents niveaux suffisent à expliquer ce fait. Dans le cas de yogis assez éclairés pour que la connaissance ait provoqué en eux le suprême Vairagya, il n'est que juste qu'ils ne se soucient pas des gunas, qui comportent aussi un état d'équilibre et n'engendrent pas d'effets.

La troisième ligne de pensée traite plus particulièrement de l'aspect prise de conscience, ou de l'état de connaissance consciente du penseur, l'habitant intérieur ; elle a donc une valeur pratique immédiate pour l'étudiant en Raja Yoga. Elle provoque certaines questions, qui peuvent s'exprimer comme suit :

1.
Quel est le niveau de l'être ou de la prise de conscience, (car l'idée est la même pour l'étudiant en occultisme) sur lequel je fonctionne ?

2.
Est-ce avec la forme ou avec l'âme que je m'identifie ?

3.
Quel est le sentier que je foule, la voie élevée de l'âme, ou le bas chemin de la matière ?

4.
Suis-je en une période de transition, dans laquelle ma connaissance consciente se trouve transférée de la conscience inférieure à la conscience supérieure ?

5.
Quoique étant dans le corps, celui-ci n'est-il pour moi qu'un instrument, et suis-je éveillé sur un autre plan de conscience ?
Ces questions, ainsi que d'autres similaires, ont une profonde valeur pour l'aspirant, s'il les pose avec sincérité et y répond avec véracité, comme en présence de Dieu et du Maître.