I. L'Etape de la Concentration

I. L'Etape de la Concentration

 

Dans toutes les écoles d’occultisme avancé ou intellectuel, la première étape comporte nécessairement l’acquisition du contrôle de l’intellect. Au XIVème siècle, Meister Eckhart écrivait :

 Saint Paul nous rappelle qu’étant faits à l’image de Dieu nous pouvons parvenir à une vision plus haute et plus vraie.

Saint Dionysius dit que cela nécessite trois choses.

La première est la possession de son propre intellect. La seconde est un intellect libre. La troisième est un intellect qui peut voir. Comment peut-on acquérir cet intellect spéculatif ?

Par l’habitude de la concentration mentale.

 Pfeiffer Franz, Meister Eckhart, pp. 196-197.

 

Ceci est strictement conforme à la méthode orientale, laquelle vise d’abord à mettre l’homme en état de contrôler son appareil mental, de façon à ce qu’il soit celui qui en fait usage à volonté et ne soit pas son esclave, comme cela arrive fréquemment ; car il est ordinairement agité par des pensées et idées sur lesquelles il n’a aucun contrôle et qu’il ne peut chasser, même s’il en a le vif désir. Nous retrouvons ces mêmes idées dans l’écrit hindou, La Bhagavad-Gitâ :

 Sans doute, ô héros, l’esprit est mobile et difficile à saisir mais par l’exercice et par l’expulsion des passions, fils de Kunti, on le saisit.

 Pour celui qui ne s’est point dompté lui-même, l’union est difficile à atteindre, selon moi ; mais pour l’homme qui s’est maîtrisé, il est des moyens d’y parvenir.

 Quand ta raison aura franchi les régions obscures de l’erreur alors tu parviendras au dédain des controverses passées et futures.

 Quand, détourné de ces enseignements, ta raison demeurera inébranlable et ferme dans la contemplation, alors tu atteindras l’Union spirituelle.

 Bhagavad-Gitâ, VI, 34-35 et II, 52-53.

 

La première étape est donc le contrôle de l’intellect, cela signifie le pouvoir d’obtenir de l’intellect ce que vous voulez et qu’il pense comme vous l’entendez, formule des idées, les développe dans un ordre rigoureusement déterminé, dirigé. Dans la majorité des cas, la fonction de l’intellect est tout d’abord de recevoir des messages du monde extérieur, par l’intermédiaire des sens et transmis par le cerveau. Hume nous dit que l’intellect est une sorte de théâtre où plusieurs perceptions font successivement leur apparition. Il est le siège des fonctions intellectuelles, et un grand centre enregistreur d’impressions d’après lesquelles nous agissons ou que nous refusons si elles nous déplaisent.

L’intellect a une tendance à accepter ce qui lui est présenté. Les idées des psychologues et de la science concernant la nature de l’intellect sont trop nombreuses pour qu’il en soit parlé ici. Quelques-uns le regardent comme une entité séparée, d’autres comme un mécanisme dont le cerveau et le système nerveux sont des parties intégrantes. Une école le traite comme "une sorte de structure supérieure non physique (...) susceptible d’être étudiée scientifiquement et sujette à des désordres qui lui sont propres". Quelques-uns le considèrent comme une forme du soi, possédant une vie en propre ; comme un mécanisme de défense, construit au cours des âges ; comme un appareil perceptif par lequel nous entrons en contact avec certains aspects de l’Univers, intouchables autrement. Pour d’autres, l’intellect est simplement un terme vague, signifiant ce par quoi nous enregistrons la pensée et répondons aux vibrations telles que celles incorporées dans l’opinion publique et dans les livres écrits au cours des temps. Pour l’ésotériste, c’est simplement un mot représentant un aspect de l’homme, qui réagit en direction du monde extérieur (monde de la pensée et des affaires), mais qui pourrait également réagir en direction du monde des énergies subtiles et de l’être spirituel. C’est cette conception que nous avons dans l’esprit, lorsque nous étudions la méditation. Toutes les définitions sont incluses dans le résumé du Dr Lloyd Morgan :

 (...) le mot, "Intellect" peut être employé dans trois sens.

Premièrement, en tant qu’intelligence, Esprit, se référant à une activité, Dieu pour nous ;

Secondement, comme qualité faisant son apparition à un niveau élevé d’évolution ;

Troisièmement, comme un attribut psychique qui interpénètre tous les événements naturels en corrélation universelle.

 Morgan C. LLoyd, Emergent Evolution, p. 37

 

Ici, nous avons l’idée du but divin, du mental universel, de cette mentalité humaine qui distingue l’homme des animaux sur l’échelle de l’évolution ; de plus, il est fait mention de cette conscience psychique universelle qui pénètre ce qui est animé et ce qui, soit disant, ne l’est pas. C’est à l’intellect en tant que qualité, faisant son apparition à un niveau élevé d’évolution, que nous autres, humains, avons affaire. Il constitue pour nous un mode ou un moyen de contact nous permettant de recevoir des informations provenant de sources variées et transmises par différents moyens. Par l’intermédiaire des cinq sens, l’homme prend conscience du monde des phénomènes physiques et de la vie psychique dans laquelle il est immergé. L’intellect enregistre, en outre, des impressions émanant d’autres intellects, et les pensées des hommes (anciens ou modernes) lui sont transmises par la parole, l’écriture, par le drame, la peinture et la musique. Elles sont pour la plupart enregistrées puis mises en réserve pour s’exprimer plus tard, sous forme de mémoire et d’anticipation. Nos états d’esprit, nos réactions émotives, nos sentiments et nos désirs de tous grades, sont également enregistrés par l’intellect ; mais pour l’individu moyen, les choses en restent là ; il ne réfléchit guère après l’enregistrement de l’information et aucune pensée n’est clairement formulée. Vêtir des idées avec des mots qui les expriment clairement est une des fonctions de l’intellect, et, cependant, combien peu de gens ont des idées et génèrent des pensées vraiment intelligentes ! Leur intellect réagit à ce qui leur est communiqué du monde extérieur mais ne possède aucune activité inhérente, originale.

 Actuellement, dans le cas de l’individu moyen, le processus s’exerce de l’extérieur vers l’intérieur, au moyen des sens et du cerveau. Celui-ci télégraphie ses informations à l’intellect qui les enregistre à son tour.

D’ordinaire, ici s’arrête l’incident.

 Mais, pour l’homme réfléchi, il en va autrement. A l’enregistrement de l’information par l’intellect, succède une analyse de l’incident, de ses relations avec d’autres incidents et une étude de la cause et des effets. La "substancementale", comme l’appellent les Orientaux, est mise en activité, des formes-pensées sont créées et des images construites, se rapportant à l’idée présentée.

Alors, s’il le désire, la pensée claire de l’homme est imprimée sur son cerveau et une activité en retour est établie. Mais le mystique, ou l’homme qui commence à méditer, découvre quelque chose de plus. Il constate que l’intellect dûment gouverné et discipliné est capable de réactions plus vastes et plus profondes, qu’il peut prendre conscience d’idées et de concepts émanant de régions éminemment spirituelles et communiquées par l’âme. Au lieu des impressions venant du monde extérieur, enregistrées par la sensitivité du mental, elles peuvent donc aussi venir du domaine de l’âme elle-même, étant causée par sa propre activité ou par d’autres âmes avec lesquelles la sienne peut se trouver en contact.

 Car le mental entre dans une nouvelle phase d’activité où l’amplitude de ses contacts ne se limite plus au monde des hommes, mais inclut le monde des âmes. La fonction de l’intellect est de servir d’intermédiaire entre l’âme et le cerveau et de transmettre à celui-ci ce dont l’homme est conscient, en tant qu’âme. Ceci devient possible lorsque les anciennes activités mentales se trouvent remplacées par une activité plus élevée et que l’intellect est rendu insensible temporairement à toute sollicitation extérieure. Il ne s’agit pas, toutefois, de le rendre passif, réceptif ou négatif par contrainte ou par une méthode quelconque d’auto-hypnotisme. Ce nouvel état résulte de la force expulsive d’un nouvel et plus grand intérêt et de la concentration des facultés mentales sur un nouveau monde de phénomènes et de forces. Ce système est celui de la concentration, la première et la plus ardue des étapes conduisant à l’illumination de l’existence.

 Le mot "concentration" vient du latin con : ensemble, et centrare : centrer.

Il signifie rassembler, ou amener vers un centre commun ou point de concentration ; il implique le rassemblement de nos pensées errantes et de nos idées ; l’application ferme et soutenue de l’intellect à l’objet de notre attention immédiate, sans flottement ni distraction ; l’élimination de tout ce qui est étranger à l’objet de notre observation ; Patanjali en donne la définition suivante :

 L’enchaînement de la conscience à une certaine région constitue l’attention ou la concentration.

 Bailey Alice A., The Light of the Soul, III, 1.

 

Ceci implique nécessairement une distinction entre le Penseur, l’appareil de la pensée et ce que le Penseur considère ; entre nous-mêmes, celui qui pense et ce dont nous nous servons pour penser : l’intellect. Alors intervient un troisième facteur, ce qui est pensé. L’élève fera bien, dès le début de sa pratique de la méditation, de se familiariser avec ces distinctions et de prendre l’habitude de les établir en lui-même, chaque jour. Il doit séparer :

 1.Le Penseur, le Soi réel ou l’Ame ;

2.Le mental, ou l’appareil que le Penseur cherche à utiliser ;

3.Le processus de la pensée, ou le travail du Penseur imprégnant l’intellect de ce qu’il pense, lorsque l’intellect est équilibré ;

4.Le cerveau imprégné à son tour par l’intellect, agissant comme l’agent du Penseur, dans le dessein de transmettre renseignements et impressions. 

 La concentration est donc la faculté de fixer la conscience sur un sujet donné et de l’y maintenir à volonté ; c’est la méthode de la perception adéquate, la faculté de se représenter correctement les images, la qualité permettant au Penseur de percevoir et de connaître le champ de la perception. Un synonyme de "concentration" c’est le mot "attention", au sens d’attention maintenue dans une seule direction. Il est intéressant de noter ce que le Père Maréchal dit à ce propos. Il signale que "l’attention est un chemin direct, menant à la perception totale, à l’hallucination, ou plus généralement à la croyance... Cela amène une unification au moins momentanée de l’intellect, par la prédominance d’un groupe mental... Mais cette unité mentale, réalisée à un degré quelconque, dans le phénomène de l’attention, est aussi la seule condition subjective qui, nous l’avons vu, accompagne toujours la perception véritable ou fausse de la vérité".

 Maréchal Joseph, Studies in the Psychology of the Mystics, p. 90.

 

Quel est le moyen le plus facile d’apprendre à se concentrer ? Un proverbe français répond : "Le meilleur moyen de déplacer est de remplacer" et le moyen à employer est d’utiliser ce que l’on appelle "la force expulsive d’une nouvelle affection". L’intérêt profond pour un sujet nouveau, dynamique, tendra automatiquement à fixer l’intellect sur un seul point.

 Un autre moyen peut être donné : soyez attentifs à tout ce que vous faites, tout le jour et tous les jours. Si nous cultivons l’exactitude dans les affaires de la vie courante nous développerons rapidement la concentration. L’exactitude dans les propos nous forcera d’être attentifs à ce qui a été dit, lu, entendu. Cela implique nécessairement la concentration et la développera. La vraie méditation est, après tout, une attitude mentale et résultera d’une attitude concentrée. Le but de nos efforts est donc d’entraîner notre intellect pour en faire notre serviteur et non pas notre maître et de cultiver notre faculté de concentration préalablement à la pratique de la méditation.

 L’élève sérieux se montrera, par conséquent, attentif dans la vie journalière et, ainsi, apprendra à réglementer son intellect, appareil de la pensée.

 Que l’on me permette d’insister ici sur la nécessité de cette attitude dans l’existence. Le secret du succès réside en deux mots : faire attention. Dans la conversation, quand vous lisez ou écrivez, concentrez-vous sur ce que vous faites et vous développerez graduellement cette faculté essentielle.

 Cette attitude doit être complétée par des exercices de concentration appropriés, faits chaque jour avec persévérance. Cela suppose la fixation de l’intellect sur un objet déterminé, ou bien sur un sujet de pensée précis. Vient ensuite la question d’apprendre à soustraire la conscience au monde extérieur et aux conditions exotériques, pour la reporter à volonté sur n’importe quel thème.

 La pratique quotidienne de la concentration nous permet de vaincre graduellement la difficulté du contrôle et aboutit à certains résultats que l’on peut énumérer comme suit :

 1. La réorganisation de l’intellect ;

2. La polarisation de l’homme, dans son véhicule mental et non plus dans son véhicule émotionnel ;

3. Le retrait de l’attention des perceptions sensorielles et l’apprentissage de la concentration dans le cerveau. La plupart des gens utilisent, comme les animaux, leur plexus solaire ;

4. Le développement d’une faculté de concentration instantanée, préalablement à la méditation ;

5. La capacité de concentrer fermement l’attention sur n’importe quelle pensée-semence.